Robert Lévesque sait écrire et il se sert de ce savoir pour mettre au premier plan des écrivains, des artistes, des politiciens, des hommes, des femmes, et nous le suivons partout où il va avec sa vive intelligence. Lui qui se dit toujours jeune, indécrottablement jeune, il donne l’impression de raconter des souvenirs de vieux avec, parfois, une plume d’un autre âge. On aime. On dirait bien qu’il a connu personnellement Proust ou Castro, Robert Levesque, son homonyme sans accent aigu, ou Patrick Modiano. Du pur jus fait avec des fruits juste à point. Le lecteur s’abandonne, il furète avec l’auteur, fréquente les mémoires et les témoignages, il le suit même dans les petits sentiers qui ont l’air de rien. Le lecteur a l’impression de lire du Marcel Jouhandeau, du Raymond Aron ou les souvenirs d’un mémorialiste en mal de confidences. Et, croyez-le, l’auteur supporte la comparaison.
Robert Lévesque, tout le monde le sait, a des opinions et il les défend avec clarté, en y mettant l’acharnement des esprits convaincus et le brio de l’écrivain sûr de lui. Pour lui, la question de l’indépendance du Québec est « une aventure qui apparaît désormais inutile, bousillée par ses meneurs » ; il déteste Claudel (« Méthode sûre : plus on connaît Claudel, plus on le déteste. Immanquable. »). Il sait parler avec émotion de sa mère, victime de la maladie d’Alzheimer (« […] ma mère ne me reconnaissait plus, me prenant pour un de ses frères, mon malheur devint grand, il éclata en silence et il est encore là. »). Il peut même avouer qu’il ne sera pas un grand poète, mais c’est avec humour et juste en passant.
Voici Anton Tchekhov, le préféré, et Henri Tranquille, André Major et Henri Cartier-Bresson, Dorothy Parker et Elfriede Jelinek, Prix Nobel, qu’il malmène un brin, et bien d’autres, bien présents, merveilleusement présents grâce au talent polymorphe, au style brillant, à l’intelligence « perceuse » de secrets de Robert Lévesque. On ne peut demander mieux. Même, on en prendrait encore. Du bonbon.