Auteure aux multiples talents, Sylvie Nicolas se permet, de plein droit d’ailleurs, des audaces qui choqueraient ailleurs. S’il lui plaît de ne pas numéroter les douze ou quinze dernières pages de son roman, on ne voit pas qui, au nom de l’éditeur ou du lecteur, interdirait un procédé qui, pour étonnant qu’il soit, prolonge heureusement le message essentiel. Preuve typique de la liberté que Sylvie Nicolas revendique et exerce.
Le titre lui-même cultive l’équivoque. Si, sur la porte de l’appartement, l’applique qui signale le numéro 8 perd un de ses clous, que doit-on lire ? Doit-on se rappeler l’ancien message ou lire ce 8 devenu horizontal comme ce signe mathématique qu’est l’infini ? L’ambiguïté se propage ainsi dans l’ensemble du roman. À chaque chiffre et selon chaque occupant correspond, en effet, une version du mystère. Tel prétend que les occupantes de l’appartement n’ont jamais existé. Tel autre concéderait qu’une femme, mais pas deux, a séjourné derrière la porte discrète. Derrière les portes frappées d’autres chiffres s’élaborent d’autres soupçons, d’autres mépris. Au terme d’un parcours aux méandres ingénieux, on comprend qu’une bureaucratie a cherché à se donner bonne conscience : dans cet immeuble où survivent des vieillards aux entêtements incertains, des vies fragiles sont-elles menacées ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi ne pas rédiger le rapport rassurant qui comblera et rendormira les décideurs virtuels ? C’est alors que, jetant le voile pudique de l’imprécision sur un immeuble où s’étiolent des vies, l’auteure interrompt la pagination du livre. Incertitude, disparitions possibles et non assurées, témoignages sans force probante, tout cela invite le lecteur à se retirer sur la pointe des pieds. Comment faire autrement puisque, sous le signe de l’infini qui est peut-être un huit qui se sent coupable, les impressions ont occupé la place des certitudes.