Dans Détails obscurs, Roger Lemoyne présente une cinquantaine de photographies en noir et blanc. Elles ne sont accompagnées que de brèves descriptions et de courts commentaires signés par le photographe ainsi que par Céline Galipeau, Robert Graham et Robert Enright. Les photographies occupent donc presque toute la place, et c’est bien ainsi.
C’est qu’elles témoignent d’une façon extrêmement efficace des guerres dans les Balkans, en Afrique, au Moyen-Orient, en Irak et en Afghanistan. Certaines sont particulièrement émouvantes, brutales même : les restes d’un homme réduit à l’état de squelette en Bosnie-Herzégovine, une mère du Kosovo devant la dépouille de son fils de 11 ans, des réfugiés hutus dans des wagons destinés au transport du fret, entassés au point où plusieurs périssent d’asphyxie. Toutes ces photographies, et bien d’autres, bouleversent, soulèvent l’indignation.
Pourtant, elles représentent, pour la plupart, « des ‘petits’ moments et des personnes anonymes », comme le dit le photographe. Il avoue également, avec humilité, « suivre la réaction de l’appareil photo devant […] des sujets d’une injustice scandaleuse ».
À voir ces photographies, parfois terribles, on en vient à se demander comment il se fait, qu’au XXIe siècle, de tels actes de barbarie soient encore possibles. Blâmer les seuls habitants des pays touchés relève de la facilité. Roger Graham souligne avec justesse que « les intellectuels parlent la langue des statistiques » et que « [leurs] calculs froids effectuent un ‘tri’ social, désignant ceux que l’on secourra et ceux qu’on abandonnera ». Il cite le général Dallaire affirmant avoir reçu, pendant le génocide au Rwanda, un appel d’un haut fonctionnaire américain déclarant qu’il faudrait la mort d’au moins 85 000 Rwandais pour justifier de risquer la vie d’un seul soldat américain.
Mais, pour être juste, il n’y a pas que les Américains en cause, puisque personne n’a voulu intervenir, ou si peu, au Rwanda. Ni au Congo d’ailleurs, où les victimes de la guerre qui perdure se chiffrent par millions. Quoi qu’il en soit, les photos prises par Roger Lemoyne sont là pour nous rappeler que le barbare est là, tapi au fond de chacun de nous, et qu’il faut parfois bien peu de choses pour le réveiller.