L’affaire, comme la désigne celui qui en est le centre, étonne d’abord par sa durée. Les contacts rémunérés de Claude Morin avec la GRC durent, d’après les recoupements, de 1974 à 1976. Révélation est faite de ces contacts par Normand Lester en 1992, c’est-à-dire seize ans plus tard. Le sujet est ensuite repris par les biographes de René Lévesque et de Jacques Parizeau, Pierre Godin et André Duchesne, dont les œuvres se situent dans la décennie suivante. En se vidant (enfin !) le cœur, Claude Morin, qui écrit en 2006, s’attaque donc à des « légendes, sottises et calomnies » réparties sur trente ans.
Malgré cette « guerre de Trente ans », rien n’indique que les divergences soient nettement comprises de tous. La démarcation est pourtant nette, car les faits sont établis et seules les intentions réelles ou présumées posent problème. Claude Morin reconnaît, en effet, qu’il a eu des contacts rémunérés, ce qui règle la question des faits ; Normand Lester convertit toujours ce constat en preuve de vénalité et de déloyauté, ce qui relève de la supputation et du procès d’intention. À mesure que le temps passe, c’est la position de Lester qui s’affaiblit. En effet, tandis que rien de neuf ne s’ajoute aux révélations de 1992, les extrapolations de Lester attendent toujours confirmation.
Ce n’est pas que tout soit concluant dans la philippique qu’assène aujourd’hui Claude Morin. Documentée, alerte, sarcastique, traversée par une belle colère, la thèse de Morin laisse des zones d’ombre. On comprend mal, par exemple, qu’il ait si longtemps riposté par des courriels ou des conversations discrètes à des accusations confiées aux amplificateurs des médias. Même un livre pèse trop peu face aux charges de la télévision ou de la une des quotidiens.
Des flottements que Claude Morin aurait pu éliminer en quelques mots persistent sur deux aspects névralgiques de la controverse : la rémunération et « l’entrée en confidence » de cautions comme Marc-André Bédard.
À propos de rémunération, l’auteur résume d’abord ainsi l’échange entre lui et le policier de la GRC : « […] lui ayant dit que j’étais très occupé, je m’apprêtais à lui annoncer que je ne le reverrais plus lorsqu’il m’offrit de me ‘dédommager’ pour le ‘dérangement’ que m’imposeraient des rencontres ultérieures. Dans l’ambiance d’alors, post-crise d’octobre 1970, cette proposition tout à fait renversante […] ».
Cent pages plus loin, on ne sait plus très bien qui le premier parle d’argent : « J’avais profité des échanges tenus jusque-là pour lancer des questions assez directes sur l’organisation, l’action et les méthodes de la GRC au Québec. Politiquement incorrect, sans mettre de gants blancs et feignant l’ignorance, j’avais même demandé s’il arrivait que la GRC paie des gens pour la renseigner ! »
La proposition, que Claude Morin décrivait comme renversante, découlerait maintenant d’un malentendu.
De leur côté, les confidences à l’ex-ministre de la Justice, Marc-André Bédard, sont quelque peu difficiles à situer dans le temps. En page 19, Morin écrit : « Après l’élection du parti en novembre 1976, je mis mon collègue Marc-André Bédard, le ministre de la Justice, au courant de la situation ». Cent pages plus loin, l’heure des révélations semble plus tardive : « Ces confidences, je les fis durant la première moitié de 1977 à mon collègue Marc-André Bédard, ministre de la Justice, et à Louise Beaudoin, ma directrice de cabinet ». Une attention plus vive au calendrier aurait levé les derniers doutes.
À mes yeux, Claude Morin ne fut jamais un traître ou un agent double. Il fut cependant imprudent. D’abord, à propos de la rémunération ; ensuite, par son choix de ripostes et de précautions. Les torts s’alourdissent cependant du côté de son bourreau : Normand Lester a révélé des contacts sujets à caution, mais jamais il n’a démontré la traîtrise. Entre l’imprudence et un entêtement durablement salissant, le choix est facile.