Après la fermeture du Boudoir, le bordel de travestis qui a fait ses choux gras de l’Expo 67, Céline Poulin reprend du service au Sélect et occupe le devant de la scène dans la trilogie de Michel Tremblay qui s’achève avec Le cahier bleu. Mais c’est une Céline bien différente de celle du Cahier noir que l’on découvre ici. Celle qui, par peur du rejet, péchait naguère par excès de prudence se lance dans l’aventure amoureuse avec la fougue des premiers émois : « Alors sans plus réfléchir j’ai sauté à pieds joints dans mon destin en me récitant tous les lieux communs que je connaissais : advienne que pourra, que sera sera, à Dieu-vat, l’avenir appartient aux audacieux, un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, fuck la marde » L’amour frappe Céline de plein fouet ! Grands yeux bleus et fossettes irrésistibles, Gilbert Forget, l’élu, cache toutefois derrière son air romantique de bien lourds secrets que Céline découvrira au fil du temps.
Michel Tremblay clôt sa très belle trilogie en réaffirmant ce dont toute son œuvre parle depuis des décennies : en rompant avec les tabous, en faisant l’éloge de la différence, Tremblay donne la parole aux exclus, aux exilés de la « haute et bonne société » qui disent sans ambages ce qui n’est pas de bon ton. Aussi la naine Céline Poulin peut-elle se joindre au chœur des femmes qui peuplent l’univers de Tremblay : Laura Cadieux, Nana, Albertine, Marie-Lou, Thérèse et Pierrette La trilogie des cahiers, c’est aussi le portrait d’une société en ébullition qui émerge d’un passé ultramontain. C’est l’époque des pattes d’éléphant, du patchouli, de l’Osstidcho, des débuts prometteurs du théâtre québécois, de l’arrivée d’une génération de chanteurs qui n’ont pas froid aux yeux ! Enfin, ces trois romans racontent aussi la venue à l’écriture de Céline Poulin : « […] ah ! la joie de trouver le mot juste, la bonne formulation, la tournure de phrase originale, le plaisir de faire parler les autres, essayer de transcrire leur langage en en préservant toute la saveur ! »