Écrire un roman en quinze jours : c’est le défi qu’a dû relever Imre Kertész en 1976. Ou en 1975 ? La préface signée par l’auteur parle de 1976, le texte se termine par 1975. Quoi qu’il en soit, en cette année, un éditeur hongrois était prêt à publier l’un de ses récits, Le chercheur de traces, à la condition qu’il fut accompagné d’un autre texte de même longueur. Kertész, donc, avait seulement deux semaines pour mettre sur papier une vague idée de roman sur le régime dictatorial de son pays. Évidemment, s’il voulait que le roman fut accepté par la censure, l’histoire devait se passer en un lointain continent, disons en Amérique du Sud. En 1977 paraît sous le nez du régime une œuvre au potentiel subversif, les confessions d’un ex-policier devenu malgré lui un membre actif du mouvement de répression. Le style est sobre, pour ne pas dire simple, comme l’est ce narrateur qui réfléchit pour la première fois de sa vie. On ne se serait pas attendu à autre chose, vu le délai d’écriture. Mais peu à peu, au fil de la lecture, les évidences du départ se complexifient et ce que l’on prenait pour de la facilité ne démontre en fait que le talent de l’auteur à se jouer de nous. Les ellipses, les non-dits, les zones obscures cachent une réalité terrifiante qui ne peut se dire autrement. Par exemple, on ne saura jamais tout à fait se représenter l’instrument de torture que les collègues du narrateur utilisent, mais l’on saura qu’il violente sa victime d’une perverse façon. Les traits d’écriture d’Imre Kertész, qui traduisent une pensée profonde et philosophique, se retrouvent dans le journal d’un jeune homme, que feuillette le bourreau dans sa cellule avant de payer de sa propre mort celle du prénommé Enrique qui l’a rédigé. Au drame politique se conjugue ainsi une tragédie existentielle, qui a trait au sens que l’on peut donner à notre passage sur terre en regard d’une mort néantisante.
Afin de ne pas entamer le plaisir de lecture de ce Roman policier – et le titre n’est pas gratuit -, nous ne dirons rien de l’intrigue, sinon que l’on y reconnaît bien le génie de l’auteur, récipiendaire en 2002 du prix Nobel de littérature. Signalons que paraissait à la fin de l’année 2005 le scénario de son roman (autobiographique) Être sans destin. Quelques très belles photographies du film de Lajos Koltai accompagnent ce récit singulier et essentiel sur les camps de concentration allemands.