Véritable fresque de déambulations au cœur des ruelles de la métropole, le dernier récit d’André Carpentier découvre la beauté dans les petites choses. Après un premier recueil de fragments nomades, qui relatait un voyage au Tibet (Mendiant de l’infini, Boréal, 2002), Ruelles, jours ouvrables est le fruit de trois années à flânoter, « qui, à l’oreille, joint la flâne à la prise de notes ». Sans datation exacte, les instants et leurs visions qui ont guidé Carpentier laissent le lecteur libre de son parcours, ce dernier pouvant lire « par bribes et par secousses » les fragments regroupés par carnets de saisons.
À travers les gestes quotidiens, les odeurs et les couleurs changeantes, au-delà des clôtures, sur les balcons, André Carpentier explore la vie des ruelles, car réellement elles vivent. « Un tel lieu n’est pas muet, qui porte ce qu’on l’incite à nous révéler. » Et ainsi cohabitent l’être et le lieu. Voyant la cour comme le prolongement de l’intérieur qui dévoile l’intimité, l’écrivain flâneur s’interroge sur soi et l’autre. On déambule avec lui dans ses errances, comme un inconnu au cœur de ce qui est familier, avec un regard neuf sur ce qui l’entoure, s’y prenant même à flâner en tournant les pages comme les coins de ruelles !
L’errance dans ces lieux permet aussi à l’auteur de faire remonter ses souvenirs à la surface, comme celui d’un baiser volé dans la noirceur, ou encore de sa première cigarette. Dans une quasi-somnolence, le promeneur projette ses émotions sur les passants et livre ses impressions, dans un imaginaire proche de celui de l’enfance. C’est parfois aussi au tour de l’observateur d’être observé, le jeu des regards se renverse, le sentiment d’être étranger, même là où il a grandi, l’étreint.
André Carpentier donne par ailleurs un bel aperçu d’un Montréal différent mais actuel. « J’ouvre un chemin sous le tracé commun. Je m’active à saisir des liens qui n’existent que parce que je les tisse dans l’inépuisable fragmentation du monde. » À lire, pour la grâce de l’écriture d’André Carpentier, et pour côtoyer ces ruelles montréalaises qui ne se livrent pas toujours à l’écrivain flâneur, ce « danseur à claquettes au bord du précipice ».