Claudio Fratta, jardinier solitaire, met la table pour deux. S’asseyant d’abord à sa place, il mange son plat. Une fois son repas terminé, il s’assoit à la place de l’invité et vide la seconde assiette. Sans doute cela explique-t-il son embonpoint… Voilà un trait de personnalité qui laisse le lecteur perplexe.
Un soir d’automne, alors qu’il guette un homme dans le stationnement d’un centre commercial, il assiste à un meurtre sordide : après que l’homme eût été renversé, une voiture surgit et roule sur le corps qui gît avant de disparaître dans la nuit. Mû par une curiosité morbide, Fratta entreprend de rattraper la Ka. Après un court moment de réflexion, dans sa voiture, tous feux éteints, le jardinier prend des risques inutiles puisque la Ka roule lentement, comme si elle ne fuyait rien et, pourtant, elle se retrouve dans le pré. En bon secouriste, Fratta emmène la victime de l’accident, une femme, aux urgences et rentre chez lui. Et c’est le début d’une longue histoire où le passé rejaillira de la façon la plus inattendue. « Les paroles d’un père ou d’une mère, prononcées ou suggérées, peuvent sommeiller en nous des années avant de se réveiller, le moment venu, et de se faire entendre par-dessus le troupeau des mots qui chaque jour hurlent leur signification dans l’enclos de notre esprit. »
Dans une prose magnifique et bien mesurée, Andrea Canobbio livre ici une intrigue fort bien ficelée dans laquelle s’enchevêtrent présent et passé. Comme pour les jardins qu’il crée, Claudio Fratta se verra forcé par les circonstances de mettre de l’ordre dans le désordre naturel de sa mémoire, car lorsque les souvenirs resurgissent, le passé se laisse difficilement déchiffrer. Un roman énigmatique et ingénieux, tout en finesse, dont on savoure les heureuses métaphores.