Il est des auteurs dont il est difficile de parler sans sentir que l’on trahit l’essentiel de leur génie. D’autant plus lorsque la nature de l’œuvre est proprement fuyante et multiple. À ceux et celles qui ne connaissent pas Fernando Pessoa, on le présente le plus souvent comme le père de quelques-uns des courants de la littérature portugaise moderne tels le paulisme et l’intersectionnisme. Sous le couvert d’hétéronymes dont les célèbres Alvaro de Campos, Berdardo Soares, Alberto Caeiro et Ricardo Reis, il a créé en effet toute une vie littéraire à lui seul, abreuvant une génération de poètes et d’écrivains de ses contradictions personnelles. On pourrait penser que le mensonge est au cœur de cette magistrale imposture, quand l’auteur se donne comme règle de vie de ne jamais livrer de confidences qui ne soient pas « fausses ou imprécises », mais les apparences étant ce qu’elles sont… Si identité il y a, elle est la somme d’une infinité de miroirs reflétant une grande solitude qui n’arrive pas à se dire. « Je suis multiple », dira-t-il à la manière de Rimbaud dans un de ses écrits intimes publiés ici pour la première fois en français. Ceci pourra paraître étrange à qui n’est pas familier de son œuvre, mais la similitude de ces voix réside dans leur authenticité. Que ce soit dans ses chef-d’œuvres Le gardeur de troupeaux (Alberto Caeiro) ou Le livre de l’intranquillité (Berdardo Soares), les recoins les plus secrets et inavoués de l’âme sont décrits avec une telle précision qu’il ne peut s’agir d’un simple jeu. Et dans les textes d’Un singulier regard, bien qu’ils soient de nature autobiographique au sens premier du terme, la voix semble la même : elle parle à l’humain de sa condition insatisfaisante, de ses échecs, de sa dysharmonie avec ce qui l’entoure, et surtout, de sa solitude. Cet autre document charnière dans l’œuvre de Pessoa a cela de particulier qu’il cache moins bien que les autres les traits dominants de sa personne, bien que, encore, quelques textes de proches qui suivent ici les siens contredisent certains de ses propos sur sa vie personnelle par exemple. On peut néanmoins observer l’évolution d’une pensée qui s’est d’abord sentie extraordinaire (et qui le dit sans rougir) jusqu’à le devenir à force, peut-être, de ne plus le croire.
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