On aurait pu s’attendre à un autre titre, car Marie Bashkirtseff (1858-1884) n’était pas romancière. Son journal et ses lettres, par contre, lui ont valu une renommée extraordinaire à la fin du XIXe siècle, surtout le journal, que la peintre niçoise d’origine russe a tenu dès l’âge de quatorze ans. Il existe pourtant bel et bien un « roman de Marie Bashkirtseff », celui de sa vie, caractérisée par un désir de gloire et une soif de vivre qui demeuraient alors, selon Hugo von Hofmannsthal (l’un de ses admirateurs), sans équivalent. Theodor Adorno l’a surnommée la « sainte patronne de la décadence », en référence à la séduction qu’elle a exercée auprès des écrivains fin-de-siècle ; elle s’est aussi vu appeler « l’éphémère Moussia » en raison de la tuberculose qui a abrégé son existence. Le livre de Raoul Mille, superbement écrit (l’auteur, lui-même établi à Nice, a remporté différents prix depuis trente ans, dont l’Interallié), est complet sans être lourd. Il propose une synthèse savoureuse de la biographie de Marie Bashkirtseff, tel, en tout cas, que son journal (dont Raoul Mille a fait une lecture intelligente) nous permet d’en juger. Nous sont racontés ses amours déçues, des chimères de l’adolescence jusqu’aux désillusions de la « vierge slave » ; l’adulation par une famille, les Bashkirtseff-Babanine, dont la réputation douteuse bloquait l’accès à la bonne société niçoise ; les cours de peinture à l’académie Julian et les expositions au Salon ; les difficultés d’être une femme indépendante à la fin du XIXe siècle (Marie, se moquant des convenances, lisait Émile Zola et Ernest Renan, et assistait aux réunions du Droit des femmes, mouvement suffragiste présidé par la féministe Hubertine Auclert). Raoul Mille retrace aussi le flirt épistolaire de Marie avec Guy de Maupassant et le grignotement du corps par la maladie, qui avait déjà coûté à la jeune fille sa belle voix de rossignol. Le roman de Marie Bashkirtseff vaut comme portrait inspiré d’une personnalité flamboyante et comme évocation de la vie française sous la Troisième République. Mais l’apport le plus précieux du livre sera à coup sûr d’aider à sortir de l’oubli une femme exceptionnelle, au sujet de laquelle trop peu d’ouvrages récents ont été consacrés depuis l’excellent Portrait sans retouches de Colette Cosnier en 1985.
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