Parmi les axes actuels de recherche en histoire québécoise, il y a l’histoire du Canada français (ou du Québec) face aux guerres. Comme la conjoncture s’y prête, le public peut maintenant accéder à quelques travaux sur la question. Après la thèse de Béatrice Richard sur La mémoire de Dieppe, Radioscopie d’un mythe, parue en 2002, la collection « Études québécoises » de VLB nous livre maintenant le mémoire de Mourad Djebabla-Brun.
L’étude a pour objet le souvenir de la Première Guerre mondiale entretenu par les générations successives de Canadiens français et de Québécois de 1919 à 1998. De l’analyse de divers « vecteurs de mémoire » – ouvrages littéraires, manuels scolaires, monuments aux morts et cérémonies commémoratives du 11 novembre -, se dégagent trois étapes dans l’évolution des perceptions de la Grande Guerre au Québec.
Dans un premier temps, de 1919 à 1931, « nos » héroïques soldats des tranchées servent au gouvernement central, notamment, pour cimenter une identité canadienne neuve dont le Statut de Westminster constitue l’aboutissement. Le Canada français, lui, hésite. Célébrer la victoire des nôtres, guerriers entre autres du Royal 22e Régiment, n’est-ce pas souscrire à l’unité nationale et oublier l’amère défaite des anti-conscriptionnistes du front domestique ?
La pression est forte, d’autant plus que, dans un second temps, de 1931 à 1960, de nouveaux conflits (Deuxième Guerre mondiale, Guerre de Corée) mobilisent l’héritage militaire en ce sens.
Cette mémoire officielle ne suffit pourtant pas à faire taire une contre-mémoire canadienne-française. À partir de 1960, la Révolution tranquille marque, dans un troisième temps, le retour du refoulé et le renversement du discours jusque-là dominant. À mesure qu’émerge le souvenir d’antihéros québécois, par exemple les victimes civiles des émeutes de Québec, lors de la Semaine Sainte de 1918, celui des héros combattants s’estompe, voire s’efface presque complètement.
Dans les dernières années, enfin, les mémoires semblent s’équilibrer. Signe de maturité d’une société désireuse de fonder l’avenir sur l’intégralité de son passé ? Peut-être. Le cas échéant, cette histoire que nous raconte Mourad Djebabla-Brun arrive à point nommé.