Autant le titre se veut neutre et factuel, autant le sous-titre annonce clairement les couleurs de l’ouvrage : Vers un appauvrissement de la gouvernance québécoise. Parler d’appauvrissement sonnera même comme un euphémisme, tant les auteurs interprètent l’engouement du gouvernement québécois pour la réingénierie comme une preuve criante d’inculture, d’hypocrisie, d’imprudent agenouillement devant le néolibéralisme. La critique n’a rien d’excessif, car la démonstration emporte l’adhésion.
Les coups les plus durs sont portés dès la première partie. Non seulement le style y est plus fluide, mais les repères historiques permettent une comparaison plus cruelle entre la gouvernance dont le Québec s’est doté depuis la Révolution tranquille et la liquidation méprisante qu’en fait l’actuel gouvernement. En donnant un contenu net à l’expression galvaudée de Québec inc., les auteurs se donnent le recul nécessaire pour réduire le gouvernement Charest au rang de l’apprenti-sorcier aussi tonitruant qu’incompétent.
La suite, bien que toujours probante, appelle certaines réserves. Même si le préfacier James Iain Gow a raison de ne pas voir dans ce livre un procès d’inspiration partisane, on y attache quand même trop peu d’importance aux dérapages de la gouvernance québécoise qui ont préludé à la réingénierie. Pas plus que la Révolution tranquille n’a débuté le 22 juin 1960, le fossé entre la société québécoise et sa gestion publique ne s’est ouvert magiquement en avril 2004. Si l’obsession gestionnaire n’avait pas déjà contaminé la classe politique québécoise, la réingénierie aurait été plus rapidement perçue comme une trahison. Certes, la réingénierie a largement ouvert ses ailes à l’arrivée du tandem Charest-Jérome-Forget, mais les gouvernements précédents s’étaient déjà passablement éloignés de la société civile et s’étaient ainsi privés d’une part de leur légitimité. Déjà, le projet politique avait reculé au profit d’évaluations quantitatives tristement unidimensionnelles. Déjà, ce que les auteurs dénomment (chapitre 3) « les relations de pouvoir entre politiciens et hauts fonctionnaires » avaient réduit l’indépendance du pouvoir politique. La réingénierie, prétentieuse et myope, méritait la dénonciation ; ceux qui, inconsciemment on l’espère, l’ont rendue possible n’ont cependant pas tous été identifiés. N’empêche, le diagnostic est net et de grande utilité.