Carol Shields avait l’habileté tout à fait singulière à montrer l’ordinaire, les personnages comme les lieux familiers, avec une acuité prodigieuse et une profonde générosité. Romancière et poète canadienne née aux États-Unis en 1935 et décédée il y a deux ans, elle a collectionné les distinctions littéraires prestigieuses, notamment pour son roman La mémoire des pierres qui lui avait valu en 1995 le Prix Pulitzer et le Prix du Gouverneur général.
Considérée par beaucoup comme la plus grande romancière canadienne anglophone, Carol Shields était aussi nouvelliste. Pour notre plus grand bonheur, Triptyque édite le premier recueil de nouvelles à être traduit en français, Miracles en série, subtile traduction de Various Miracles. Car c’est en rafales que se produisent ici les miracles qui nous emmènent dans un long voyage où l’enchantement se mêle à l’anecdote et le récit à la fable, ainsi que nous l’explique dans la préface Benoit Léger, le traducteur : « […] le premier texte donne le ton en faisant l’inventaire de coïncidences survenues un peu partout dans le monde […]. Les divers miracles du recueil nous emmèneront ainsi dans différents coins d’Europe et d’Amérique du Nord pour nous ramener littéralement pleins d’usages, sinon de raison, à la maison ».
Avec une précision quasi-chirurgicale, Carol Shields décortique les atomiques moments qui forment les molécules de vie qui parfois nous changent, qui toujours nous fondent : « Plus tard, elle en vint à voir le bonheur comme une chose incertaine et sur laquelle on ne peut compter, un éclair clignotant au coin de l’œil des êtres, ou une mince plaque de verre que l’on porte secrètement dans la tête ».
Finement ciselés à la plume, ces miracles en cascade sont de véritables petites pièces d’orfèvrerie dont on ne peut qu’admirer l’art et la façon dans les petites formules qui parsèment avec bonheur une trame savamment tissée, car « il faut avoir l’œil vif pour saisir les moments-clés et la sensibilité aiguë d’un sismographe pour saisir l’étoffe fragile, en vérité invisible, qui unit les événements les uns aux autres ».
Difficile de résister à la séduction de ces joyaux de l’infime qui, de l’aveu du traducteur lui-même, vont bien au-delà du simple exercice de style ; car la place de la langue est ici centrale, de sorte que le verbe constitue à lui seul presque un personnage à part entière. Et il convient de souligner tout particulièrement le brio, la lucidité et la sensibilité de Benoit Léger, traducteur inspiré qui, transcendant la seule notion de fidélité, a su prêter à Carol Shields une voix française dont l’élégance et le charme le disputent à l’évidence.