En 1930, il fallait être un peu fou pour vouloir traverser le désert saharien le long de la côte Atlantique, au sud d’Agadir. Les troupes françaises n’avaient pas osé pénétrer à l’intérieur de ce territoire vierge de toute carte, où coulait le sang des tribus ennemies. Michel Vieuchange avait le malheur d’être français, digne représentant, pour les hommes bleus, de la menace colonialiste. Ce bourgeois littéraire trouva à peine de quoi s’en inquiéter lorsqu’il entreprit de préparer le périple qui devait le mener jusqu’aux ruines de Smara. Cette cité mythique, abandonnée au cœur du désert, avait été le rêve mégalomane d’un autre homme, qui aurait voulu voir unifiés tous les peuples du Sud contre l’empire marocain au début du siècle dernier.
Les carnets de l’aventurier de vingt-six ans commencent au moment où il vient de laisser son frère au dernier poste français. Il note, travesti sous des vêtements de femme, ses premières impressions qui laissent envisager l’âpreté du voyage. Le style télégraphique va droit à l’essentiel : les maux d’estomac, les blessures aux pieds, les poux, la dureté du sol, mais aussi les tractations, les amitiés, les rituels. Deux mois plus tard, à quelques kilomètres du retour, affaibli par une dysenterie, il laisse tomber sa plume.
Dans la postface de Smara, édité initialement en 1932, Jean Vieuchange évoque l’agonie de son frère et sa conversion au catholicisme, un véritable « retournement », selon lui. Faut-il néanmoins relier toute l’aventure aux tourments des saints et des martyrs, comme le fait son biographe Antoine de Meaux ? Peut-être est-ce seulement la peur de la mort qui a motivé le jeune homme à demander l’extrême-onction sur son lit d’hôpital à Agadir. Qu’il ait embrassé quelque religion, après le voyage, reste inexplicable. Le récit que nous a laissé Michel Vieuchange est celui d’un dénuement, oui, mais moral. Au point que l’on peut être choqué, par exemple, par le laconisme d’une phrase qui nous informe de la façon dont le Français tuerait tel compagnon de route s’il devenait infidèle à la cause.
Soit on lit les carnets, plus bruts, soit on lit la biographie, écrite bellement. Ou bien on laisse passer les années entre les deux. Je conseille de lire l’original en premier.