Les pourtours de l’œuvre de Marcel Proust ont été beaucoup scrutés déjà : la vie du romancier, les modèles de ses personnages, les lieux qu’il a transposés, sa correspondance, etc., etc. Quel éclairage nouveau apporte donc une biographie consacrée à sa mère, née Jeanne Weil ? On a dit et redit l’amour fusionnel qui liait Marcel à sa mère. La biographe y revient en montrant ses manifestations dans la vie quotidienne et dans les lettres qu’ils échangent, souvent plus d’une fois par jour. À ce chapitre, Madame Proust ne nous apprend rien que les romans de son fils ne laissent pas déjà soupçonner sous le masque de la transposition romanesque. Jeanne nous est présentée surtout dans son rôle auprès de son petit Marcel, la maman qui s’inquiète, qui protège et console, mais aussi qui collabore, incite au travail et à la discipline.
Evelyne Bloch-Dano lève bien un peu le voile sur la vie maritale de cette femme avec Adrien Proust, l’illustre médecin parisien qui aurait, lui aussi, fréquenté des demi-mondaines, telle la Dame en rose, tout comme le grand-oncle de Du côté de chez Swann. Qu’à cela ne tienne, le couple aurait été un modèle d’harmonie, quand pourtant ils avaient peu d’intérêts en commun. En effet, Jeanne, issue de la grande bourgeoisie israélite, est représentative de ce milieu pour lequel la vie intellectuelle est primordiale. Elle est riche, très cultivée, excellente pianiste, polyglotte et passionnée de littérature, tandis qu’Adrien, né de petits commerçants, a fait lui-même sa place dans la société parisienne comme médecin hygiéniste réputé ; tourné vers les sciences, il aurait été davantage passionné par la météo que par la poésie. Jeanne est une femme intelligente et prévoyante, dotée du sens de l’humour. Elle a refusé des candidats de son milieu et choisi d’épouser Adrien, car elle voulait s’intégrer à la société catholique, celle de la majorité. Elle ne renonce pas pour autant à son appartenance juive, gardant en mémoire les ghettos de ses ancêtres, ni ne se convertit. Adrien est d’ailleurs libre-penseur et anticlérical. Mais les enfants seront baptisés comme de vrais Français.
Madame Proust intéresse par les détails sur la vie quotidienne et le train de vie de la grande bourgeoisie française sous la IIIe République, en plus de rappeler le rôle certain qu’a joué une mère juive dans la vocation de l’un des plus grands romanciers français.