Aussi banal qu’il semble, le titre du livre d’Antoinette Fouque (réédition de l’édition de 1995, augmentée de quatre textes) signale l’ampleur inouïe du malaise de la civilisation. Il y a 2 sexes, il y a bien 2 sexes, serais-je tenté d’ajouter, indiquant par là que la lutte du Mouvement de Libération des Femmes, jeune à l’échelle du vivant, n’en est qu’à ses débuts puisque la misogynie planétaire (plus profonde que le sexisme) est loin d’avoir désarmé, ce qui n’est pas sans rapport avec l’absence de plus en plus flagrante de démocratie dans nos démocraties.
Lorsqu’en octobre 1968 Antoinette Fouque fonde avec Monique Wittig et Josiane Chanel le M.L.F., ce n’est pas pour revendiquer l’égalité avec les hommes, mais pour soutenir le principe de la parité qualitative et articuler « l’inconscient à l’histoire et le sujet à la culture » afin de faire sortir la femme de l’univers concentrationnaire dans lequel elle demeure enfermée depuis des siècles. Il s’agit de reconnaître que la production humaine des femmes (qui accouchent) vaut autant que la production de biens. Littérature, psychanalyse, sociologie et histoire seront les principales pratiques lui permettant d’ouvrir le champ épistémologique qu’elle baptisera féminologie, lequel se définira comme l’ensemble des sciences des femmes cherchant à comprendre « notre savoir forclos, à la fois inconscient et exclu ». Le projet de cette gynéconomie s’avère énorme : joindre dans une même poussée ce que Fouque appelle l’obstétrique des Lumières, l’inconscient freudien, la création génésique et psychique de la grossesse. Tout un programme, qui conduira, outre les « interventions », à la création des éditions Des femmes et à sa magnifique collection de la « Bibliothèque des voix ».
C’est donc ce parcours qui est retracé dans ce recueil où, en plus des importants textes concernant tous à leur manière la violence symbolique et réelle perpétrée quotidiennement contre les femmes par le Tout-profit phallique, on lira quelques très beaux textes, dont ceux consacrés à la résistante birmane Aung San Suu Kyi et à la l’écrivaine bangladaise Taslima Nasreen, une magnifique entrevue avec Isabelle Huppert, l’hommage à Serge Leclaire et la critique de La troisième femme, de Gilles Lipovetsky. Bref, cette nouvelle édition d’Il y a 2 sexes doit être relue et longuement méditée.