Journaliste et scénariste québécois établi en France depuis plusieurs années, Pierre Leroux publiait récemment chez Albin Michel un roman remarqué. Sorte d’exercice de style où certains éléments sont récurrents (la fillette de huit ans, le coupe-papier afghan, Maître Wilenstein), Cher éditeur présente dix-neuf lettres adressées à un éditeur par autant d’écrivains en herbe aspirant à la gloire.
Souvent loufoques, parfois pathétiques, ces missives dressent un portrait assez décapant des aspirations de gens qui, convaincus de la valeur inestimable de leurs écrits, sont persuadés d’offrir à l’éditeur une chance unique de connaître le succès. « Dans peu de temps, vous allez lire un manuscrit formidable. Vous n’avez jamais rien lu de tel au cours de votre carrière d’éditeur. C’est le texte dont vous rêvez depuis longtemps. » Les types cernés par Pierre Leroux sont prêts à tous les excès (flatterie, chantage, hypnose, insulte, harcèlement) pour atteindre leur but. L’un d’eux va même jusqu’à utiliser son sang pour écrire les dernières lignes de son manuscrit.
Exténué, n’en pouvant plus d’être « bombardé de colis et de lettres hautement passionnées », l’éditeur, à qui l’on prête de mauvaises intentions et bien peu de crédit, prend la plume à son tour, répond aux auteurs puis à sa fille avant de délaisser « le gouvernail de sa potence ». Son tranchant « auteurs, je vous hais » en dit long sur son accablement
Le roman de Pierre Leroux dépeint évidemment de façon caricaturale la relation éditeur-écrivain. Néanmoins, plusieurs anecdotes – notamment le premier billet (un pur délice !) – ne sont pas si loin de la vérité. Maîtrisé et hilarant, Cher éditeur ravira tous les lecteurs, et peut-être plus encore ceux qui ont un jour ou l’autre Suvré dans le domaine de l’édition.