Isabelle est une jeune femme dévote, habitée par une foi de charbonnier, accrochée à ses Ardennes natales, « pays de gel, dur et noir », vivant dans le sillage d’une mère autoritaire et la déférence pour une famille « où les hommes ne restent pas [ ], n’ont jamais rien fait d’autre que de s’éloigner, prendre le large, et s’affranchir [des] femmes, condamnées à demeurer au pays, reliées à la terre ». « Je n’ai cessé de me demander d’où ils tenaient cette attirance pour d’autres ciels, s’interroge-t-elle, alors que le ciel est le même partout. » Arthur, fantasque, taciturne, est tout l’opposé de sa sœur cadette Isabelle. En mai 1891, après dix ans d’un exil volontaire en Abyssinie, il est de retour. Pour mourir.
Les jours fragiles, c’est le journal (évidemment fictif) qu’aurait tenu quotidiennement Isabelle, du 22 mai au 14 novembre 1891, non sur les derniers jours du poète Rimbaud – sur lequel tout ou presque a été dit ou inventé – mais sur la longue agonie du frère aîné, surdoué scandaleux à l’ombre duquel elle a grandi et qu’elle accompagnera, encore, sans sourciller, parce qu’ils sont du même sang sinon de la même espèce. « J’ai des souvenirs, moi aussi, mais ce ne sont pas les mêmes. Je me souviens qu’il fut un élève brillant, qui forçait l’admiration de ses maîtres, et que ses compositions de grec et de latin étaient, chaque année, couronnées par des premiers prix. Je me souviens qu’il fut un fils obéissant, qui autorisait ma mère à nourrir les plus grands espoirs, avant qu’il ne se mette à fuguer, lui aussi, à s’éloigner des siens. Je me souviens qu’il eut ce sourire moqueur, cet éclat bleu dans le regard, une malice, la promesse de lendemains joyeux. Je me souviens qu’il écrivit des choses qu’on qualifie d’admirables et auxquelles je n’entendais rien, qu’il composa des mystères qui m’enchantaient comme le font les contes de fées. Je me souviens qu’il partit à la conquête de Paris, avec assurance mais sans la moindre arrogance, qu’il revint parfois piteux et misérable, et qu’à chaque départ comme à chaque retour il m’étreignait. »
Dans la vraie vie, Isabelle fut l’exécutrice testamentaire d’Arthur, sélectionnant ce qui méritait selon elle d’être publié, détruisant le reste, édulcorant ou travestissant au besoin la vie de son frère, mais s’efforçant d’épargner au nom de Rimbaud l’indignité.
Si Philippe Besson s’appuie sur la vérité historique, sa prouesse romanesque tient bien au fait que sa reconstitution, qui consiste à nous présenter un génie vu à travers le prisme d’un esprit prosaïque mais admiratif et aimant, est vraisemblable.
On sait gré à l’auteur d’être de ces écrivains contemporains (devenus rares) qui ne nous servent pas de l’amphigouri : une parfaite maîtrise narrative, un vocabulaire simple qui sert admirablement une syntaxe toute en fluidité, l’art de dire une émotion sans mièvreries, le don de créer une atmosphère et l’habilité à suggérer par le non-dit. Le charme opère d’emblée dans ce roman élégant, subtil, sensible, sensuel. Touché par la grâce.