La dédicace révèle souvent, sans plus, une affection de l’auteur. Celle-ci éclaire utilement le déroutant parcours : « À tous les Gaston du monde qui n’ont pas su grandir et vieillissent mal, avec des retours en arrière qui les sidèrent ». On la relira sur le mode méditatif en refermant le livre.
Car François Moreau ne sous-estime pas son lecteur. Il entre gaillardement dans le volcanique projet de Gaston, mais n’exhume que parcimonieusement la genèse de la lave. On ignore pourquoi l’arrivée inopinée d’un héritage reporte Gaston aux haines de son enfance. La santé mentale de Gaston ne s’affiche pas non plus comme assurée. En voilà assez pour que la sarabande se déchaîne. Tous y participeront, depuis les parents défunts de Gaston jusqu’à la fillette vicieuse qui accueillait autrefois le garçon et qui, devenue femme, ne demande qu’à renouer la relation. L’oncle de Gaston, prêtre frustré par les réformes liturgiques, tentera de rappeler Gaston à l’ordre et s’attirera de cinglantes répliques : « L’apprentissage du meurtre, mon oncle, c’est dans le ventre de sa mère qu’on le fait. Et on le fait tous ». Comme pour confirmer que le présent porte la malédiction du passé, le journal intime de la mère de Gaston tombera entre les mains de Catherine, son épouse. Celle-ci en fera une lecture fiévreuse.
Récit puissant, écrit avec une sorte de férocité. Les instincts telluriques s’y déploient sans que jamais François Moreau cède au danger d’un freudisme à la petite semaine. Les personnages, chacun à sa manière, débordent du cadre que la vie leur faisait prévoir. Les identités, jusqu’à la fin, demeurent mouvantes, fragiles et incertaines, au risque de voir chacune des existences poursuivre, au mépris des autres, sa marche vers le drame. Si l’époque de Shakespeare s’était intéressée aux humbles autant qu’aux têtes couronnées, peut-être se serait-elle penchée sur Gaston et ses proches, assez, en tout cas, pour assister à d’autres apprentissages de l’assassinat. Et on relit la dédicace…