Le mythe littéraire de la Belle et la Bête, fondé sur le thème du couple monstrueux, a été maintes fois réinvesti dans des textes de la littérature contemporaine. Denys Gagnon, dans sa pièce Les noces de la Bête, en propose une version singulière. Fidèle à ce que la tradition a retenu du rapport entre les personnages principaux, le dramaturge met l’accent sur les contrastes. Allégorie d’un amour impossible, la pièce tend toutefois à montrer que les polarités contraires peuvent parfois se résorber. La Bête, être fragmenté, torturé par l’idée qu’il ne peut atteindre au seul plaisir qui lui semble important, l’amour, est en quête de son identité. Comme il le dit lui-même : « Le dégoût et l’horreur que j’inspire sont la mesure pour l’amour que j’éprouve et que je veux offrir ». Ce « monstre qui aime » trouve la solution à la douleur qui le torture dans la révélation de son amour pour la Belle qui toutefois le repousse au profit de son frère, jeune homme de marbre au tempérament évasif. On aura compris que l’énigme, bien connue, est ici secondaire par rapport aux relations qui se nouent entre les personnages et à la façon dont elles sont traitées. Quelques formules répétitives, presque rituelles (« Vous êtes la Bête », réitère la Belle sans discontinuer), scandent l’identité fixe des personnages, les murant dans leur solitude. Pourtant, ceux-ci, à la fin de la pièce, auront échangé leurs rôles respectifs. Cette transformation constitue au demeurant l’enjeu principal de la trame dramatique. « [O]n devient toujours la Bête aux yeux de ceux que l’on aime », prétend la Bête pour exprimer le désespoir – teinté d’espoir, puisque chacun se retrouve sous son vrai jour dans son vis-à-vis – qui l’habite.
La seconde pièce du recueil, Prendergast, évoque les actions d’une trinité insolite composée d’un père, d’une mère et d’un fils qui forment une trinité insolite. Volontairement enfermé dans une chambre, le fils lutte pour obtenir de son père le droit de clamer son identité d’individu déchu. Réflexion sur le passage du temps, sur la mort, mais aussi sur les bienfaits de la mémoire, Prendergast, à l’instar des Noces de la Bête, offre une vision du monde qui, comme l’écrit Christian Delmas dans la postface du livre, est « enracinée dans notre époque, dont elle véhicule toutes les angoisses existentielles ».