Le genre du roman historique exige habituellement des auteurs qu’ils appliquent à la lettre des procédés savamment élaborés par leurs prédécesseurs. Faire fi de cette règle peut s’avérer téméraire et le romancier qui prend ce risque prête le flanc à la critique. C’est toutefois l’option choisie par Robert Finley, professeur de littérature anglaise à l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, qui, dans son premier roman, Les Indes accidentelles, s’emploie non seulement à faire revivre de façon originale l’équipée de Christophe Colomb, mais encore convie le lecteur, en l’inscrivant (en sa propre compagnie) sous forme de personnage dans le récit, à accompagner l’explorateur génois à la découverte du Nouveau Monde. Robert Finley, à vrai dire, joue avec une histoire connue d’à peu près tout le monde, se permettant certaines libertés, explorant lui-même tout au long du roman les résonances des événements vécus par Colomb et son groupe de marins.
Prédestiné aux plaisirs du déplacement par une chute effectuée de son berceau alors qu’il est tout bébé, Colomb grandit avec l’idée obsédante de se lancer dans une expédition de découverte des Indes. De la préparation du voyage et des attentes que celui-ci suscite, le lecteur ne saura à peu près rien, Robert Finley préférant s’attarder aux désirs qui motivent Colomb, à ses rêves, si bien qu’au voyage physique se substituent les mouvements de la pensée du chef d’expédition. Les descriptions de paysages cèdent l’avant-plan aux tractations métaphysiques d’un personnage passionné d’observations diverses. Dans un ordre d’idées semblable, Les Indes accidentelles, contrairement aux récits historiques habituels, ne tente pas de démystifier le passé ; Finley redonne créance aux superstitions des marins, au monde mythologique (peuplé de sirènes et de dragons marins) qui émaille l’imaginaire des voyageurs, de façon à (re)créer un univers où moult chimères dament le pion aux entreprises de la raison. Si le lecteur est insatisfait par cette manière de procéder, il pourra se rabattre sur les notes très documentées qui se trouvent à la fin du volume, et qui rendent compte d’une recherche minutieuse visant à restituer aux faits leur valeur historique. L’expérience de lecture proposée par l’auteur s’avère en définitive rafraîchissante.