L’état du monde après le 11 septembre nous a habitués – il est vrai que nous avions été initiés – à l’horreur. De l’invasion de l’Irak aux décapitations sommaires, plus rien ne semble impossible, la barbarie et l’intérêt semblant confirmer les thèses les plus cyniques. Le terme obscène conviendrait-il au mensonge humain porté du for intérieur à l’arène politique ? En une époque où la citoyenneté est mise à mal, où les nouvelles technologies permettent un accès quotidien aux massacres les plus immondes et où même Lara Croft (oui, oui, celle de Tomb Raider) se retrouve nue sur Internet, que signifie mettre en scène dans son effroyable nudité l’irreprésentable même ?
On peut dire que c’est à cette question que tente de répondre Corinne Maier en proposant un trajet qui part – devoir d’histoire et métier de psychanalyste obligent – de Freud pour aboutir… à Sade, Casanova, Flaubert, Marcel Duchamp, via Courbet, Van Gogh, Bacon et… aux natures mortes hollandaises, à la célébration du corps du Che ou à la Madone du Kosovo de Mérillon… L’ouvrage est court, mais la liste pourrait s’allonger des œuvres évoquées qui, obscènes, impliquent la monstration, en négatif, de la mort et de la décomposition dont nous sommes à chaque instant les continuateurs. « […] l’obscène est le fragment de nuit que nous portons en nous. » Frayeur et fascination ; il s’agit de montrer à tout prix tout en la cachant la faille même, la béance en l’être – ce pourquoi la Shoah ne fut pas obscène car sans représentation, elle n’ouvrit que sur le vide. Les camps n’appartiennent pas au lieu de « l’ultra-visible » qu’est l’obscène, pas plus que la colline de Biserero, les charniers de Mbanza-Ndounga ou le marché d’Abu Jidad. Ce qui en revanche le travaille, c’est la subversion du politique et l’inversion de l’art. Condition du beau, ferment de désordre, l’obscène lie inextricablement « la corruption réelle de la matière et l’image du défunt ».
Fort peu originale et reprenant en grande partie plusieurs thèses connues de Bataille et de Lacan (et, plus discrètement, de Henry Miller), la réflexion de Corinne Maier mérite néanmoins d’être entendue pour ce qu’elle souligne la tension du regard qu’éprouve le spectateur de l’obscène. C’est que regarder tout en ne donnant pas entièrement son regard rend patente la division qui le constitue comme sujet humain. Il est peut-être encore possible de voir et de penser.