Je ne suis pas de ceux qui stigmatisent aveuglément la mondialisation, mais je m’oppose avec vigueur au turbocapitalisme qui dévore aujourd’hui tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à du vivant. C’est à mon sens cette barbarie qui favorise (pour reprendre l’hypothèse de Charles Melman) le rejet du réel au profit du virtuel, elle qui table sur la jouissance hic et nunc et détruit tout désir. Lu dans ce contexte d’un « mégarave » de la consommation, du morcellement des sujets, le cours donné par Michel Foucault au Collège de France en 1973-1974 trouve une singulière actualité.
On sait que l’Histoire de la folie à l’âge classique, publiée en 1972, proposait une archéologie du partage qui s’était opéré entre le fou et le non-fou dans notre société. Même si le cœur du projet de Foucault – à savoir la lecture du cogito cartésien – avait été puissamment critiqué, et avec raison, par Jacques Derrida, il n’en reste pas moins que la médicalisation de la folie amorcée à la fin du XIXe siècle prend aujourd’hui une tournure dramatique, ce qu’on observe avec la mainmise du complexe médico-industriel sur la psychiatrie et la banalisation des médicaments, cette croissance apportant d’ailleurs une hausse sans précédent des prix.
Loin de simplement servir d’introduction ou de prolongement à son grand livre, Michel Foucault propose ici une analyse aiguë de la forme propre de pouvoir-savoir qu’avait installé la psychiatrie pour en venir à mettre en relief le mouvement antipsychiatrique des années 1960, ce dernier s’amorçant déjà à la fin du XIXe siècle, au moment, assez court somme toute à l’aune de l’histoire, où la « dépsychiatrisation » de la folie aura divisé le champ de la normalité et de la folie en neurologie et psychanalyse. Aujourd’hui que la psychiatrie pourrait disparaître et que la psychologie tente pathétiquement de la remplacer, la question demeure de savoir qui peut recevoir, en toute éthique, quelqu’un qui veut parler et traverser son fantasme fondamental. Qui ne voit combien le sujet, sa vérité et son désir sont aujourd’hui devenus plus menaçants que jamais pour le dispositif psychiatrique (ce dernier incluant désormais tous les intervenants en « santé mentale » et relativisant ainsi la place du psychiatre) qui tente d’assujettir les nouvelles formes de « folie », de « déviance ». Peut-être la psychanalyse ne fait-elle que commencer