Pourtant immergé dans un accaparant travail de médecin, Jean Lemieux offre d’année en année des livres beaux et denses où s’étale un immense talent. L’homme voit, sent, devine avec une telle justesse que notre regard se promet plus de vigilance et d’intuition. L’écrivain est certes nourri par ses environnements, qu’il s’agisse comme précédemment des frénésies urbaines ou, comme cette fois, des échanges propres aux mondes insulaires, mais il ne se laisse pourtant pas enfermer par les conditionnements faciles. Ainsi, même s’il maîtrise admirablement la langue des Îles-de-la-Madeleine où il a longuement habité, il ne recourt que de façon mesurée à la magie facile d’une surabondance de couleur locale. D’un jeune qui a tôt connu le succès financier, Jean Lemieux fera dire à son personnage que « Roméo était en avant de sa bouée à trente ans », puis il retournera sobrement aux termes neutres de leucémie et de permis de crabe. Beaux effets bien dosés.
L’intrigue elle-même captive jusqu’à la fin. Ou presque. Venant d’un auteur moins ferré en connaissances médicales et pharmaceutiques, peut-être serait-on saisi de scepticisme devant l’enchevêtrement des astuces réservées aux spécialistes. Dans le cas de Jean Lemieux, on fait confiance, tout en espérant que ceux qui en savent autant se tiennent à distance du crime… Faute d’une parfaite vraisemblance, le dernier rebondissement ne convaincra pas tout le monde. Et alors ! L’osmose aura quand même fonctionné, à deux pages près, entre un superbe écrivain et un univers fidèlement et bellement évoqué.