Le malheur de ce livre est porté par son sous-titre, faux : « La psychanalyse de Jacques Lacan à la portée de tous ». Eh bien non ! Cette psychanalyse-là touche tout le monde mais ne concerne pas le grand nombre des gens, pas plus que tout ce qui demande du temps, en particulier l’amour. À quoi rime le fantasque démocratisme affiché par Corinne Maier ? Car on ne saurait, comme elle le prétend, « laisser le jargon de côté, en reformulant et en expliquant sur un ton accessible les concepts du praticien-philosophe à la lumière de l’actualité ». Jargon ? N’en déplaise à Madame Maier, il y a chez Lacan une langue, un style. Les réduire équivaut à les détruire. La mode, c’est d’abord et avant tout celle de la psychologie de masse, du fast food de la pensée. Ça vend et ça donne l’impression du changement. Je ne suis pas encore tombé sur un Proust pour les nuls. Ça viendra. Pour la pensée qui se tient, il faut se mettre vraiment au travail. Ça vaut la peine.
Cela dit, tout n’est pas mauvais dans ce livre. Il y a bien, pour qui veut s’introduire à la pensée de Lacan, quelques indications utiles, proposées en deux moments : d’abord une présentation de l’homme, puis le parcours, plaisant, de la galerie des personnages inscrits dans son œuvre. L’examen des figures (Alcibiade, Hamlet, Dom Juan, Sygne de Coûtefontaine, la Belle Bouchère, David Hume, Sade et bien d’autres) est l’occasion de faire surgir plusieurs éléments essentiels développés dans l’enseignement du plus grand psychanalyste après Freud : le désir, la mort, la loi, la cure, les structures, la science, le langage, etc., etc. Bref, la plupart des morceaux de choix y sont. Ce qui cependant gâte tout, c’est que l’humour parfois savoureux de Corinne Maier emprunte souvent de douteux détours et atteint même la connerie (comme le passage concernant L’Homme Moïse et le monothéisme, de Freud).
Mais le manque le plus fondamental vient de ce qu’il est prétendu que Lacan, une fois vieux monsieur, aurait redéployé sa pensée « sous une forme inédite à l’aide de la topologie » pour « matérialiser l’inconscient ». Corrigeons : très tôt (c’est-à-dire à partir du Séminaire IV, en 1956-1957), Lacan commence à installer la topologie au cœur même de la psychanalyse et certainement pas pour matérialiser l’inconscient. Je suggère donc au néophyte de lire Lacan sans peine avec circonspection.