Le dernier roman de l’écrivaine canadienne Carol Shields est déroutant. Tout comme Reta Winters, la mère de Norah, on est en effet désarçonné par ce qui arrive à sa fille qui, à dix-neuf ans, sans crier gare, abandonne ses cours à l’université et quitte le petit ami avec qui elle partageait un appartement. Une amie des parents retrouve l’adolescente à Toronto, assise sur un trottoir, un carton suspendu à son cou sur lequel est inscrit le seul et énigmatique mot « bonté ». À cette occasion, et chaque fois qu’un membre de la famille ira la voir sur son coin de rue, Norah ne leur adresse pas la parole. Après chaque tentative infructueuse d’entrer en communication avec Norah, déconcertés, les parents – un médecin et une traductrice et romancière – et leurs deux autres filles regagnent leur maison à Orangetown. Force leur est de reconnaître que Norah s’est en quelque sorte retirée du monde
Par la voix de Reta, Carol Shield tente de pénétrer le cœur meurtri d’une mère aux prises avec un désarroi sans nom puis de cerner le drame de cette cellule familiale défaite par le départ inexplicable de l’aînée : pourtant bien vivante, Norah a non seulement quitté sa famille, ses cours, ses amis, mais elle semble avoir déserté la vie. Comment accepter et se consoler de ce qu’on ne comprend pas ? Reta essaie de s’expliquer le comportement de sa fille en lui prêtant ses propres fantasmes au sujet de la condition féminine puis elle tente de juguler son angoisse en s’activant et en poursuivant l’écriture de son deuxième roman.
La vie suit son cours et les Winters n’ont d’autre choix que de continuer leur route. « Dans ma nouvelle vie (celle de l’été 2000), je tente de ‘m’estimer heureuse de ce que j’ai’. Tous les gens que je connais me conseillent d’adopter cette stratégie répugnante, comme s’ils croyaient vraiment qu’une perte dramatique pouvait être compensée par une nouvelle façon d’apprécier tout ce que l’on a reçu. »