Auteur du fascinant ouvrage Le serpent cosmique, l’ADN et les origines du savoir en 1995, le Suisse Jeremy Narby s’est associé à l’anthropologue Francis Huxley (Aimables sauvages) pour concocter un choix de textes marquants autour du chamanisme. Les documents rassemblés s’étendant du XVIe siècle à aujourd’hui, on peut suivre avec exactitude l’évolution de la pensée occidentale sur ce sujet. D’abord considérés comme des êtres sataniques, des imposteurs ou des déficients mentaux, les chamanes du Nouveau Monde, des diverses colonies du globe et de la Sibérie ne sont étudiés plus honnêtement qu’une fois bien entamée la marginalisation de leurs cultures. Une situation qui ajoute à la difficulté de distinguer les divers degrés de compétence entre chamanes et, surtout, à celle d’établir un contact authentique avec eux.
À travers une étude approfondie de rituels incluant à l’occasion la danse, la musique et les substances hallucinogènes, on apprend peu à peu à considérer les chamanes comme des praticiens de la pharmacopée et de l’imaginaire. À mi-chemin entre la botanique, la chimie, l’art et la psychanalyse, les pratiques de ces médiateurs, présents dans toutes les sociétés archaïques, remplissent une fonction qui arrive difficilement à se transposer à l’échelle de l’humanité. Les deux auteurs ont tout de même foi en ce processus, eux pour qui « [L]es chamanes ont toujours été les spécialistes du voyage entre les mondes », des « pionniers de l’exploration de la conscience humaine », et selon qui « [L]e chamanisme perdure, adoptant la ‘ tactique du caméléon ‘ ». À cet égard, un compte rendu de Jeremy Narby lui-même ouvre une piste vertigineuse, portant sur les séances d’ayahuasca effectuées, en 1999, par des biologistes moléculaires auprès de chamanes amazoniens. Les Occidentaux, lors d’un « dialogue » hallucinatoire avec l’esprit des plantes, remodèlent de façon inédite leur savoir à propos des modifications génétiques.
Si le choix des textes est d’une rare pertinence, la plus grande qualité de Chamanes au fil du temps est son armature de commentaires. L’introduction est en effet relayée par une mise en contexte où Jeremy Narby et Francis Huxley, au début de chacune des sept parties et en frontispice des soixante-quatre textes, clarifient leurs points de vue et les motifs de leurs choix, révélant et bonifiant la part d’essai qui s’intègre au travail anthologique.