Le premier roman de Wajdi Mouawad a de quoi susciter la curiosité. On dit que son écriture est antérieure à celle des textes dramatiques qui ont fait connaître l’auteur maintenant directeur du Théâtre de Quat’sous. Quatorze ans en chantier, un travail où s’inscrit d’un chapitre à l’autre le passage du temps, des allusions naïves et romantiques propres à la fin d’une adolescence et la densité des images nourries par l’expérience de l’exil.
Wahab a sept ans lorsqu’il assiste au premier acte d’une guerre qui déchirera le Liban pendant quinze ans. Un autobus bondé flambe sous ses yeux, il sent l’odeur de la chair humaine roussie. Le temps s’arrête : une page blanche. Le voilà à Paris, sept ans plus tard. Le jour de son anniversaire, au retour de l’école, il ne reconnaît plus le visage des siens qu’il prend d’abord pour des étrangers. Au réveil, l’inquiétante étrangeté est encore là. Comme le visage de sa mère, « la femme à la longue chevelure blonde », l’existence a perdu de ses rondeurs et « tout le monde fait semblant que c’est normal ». Commence alors une fuite hors de cette vie qui meurt. D’abord par une fugue qui ne durera que quelques jours, mais au cours de laquelle le héros trouvera le silence nécessaire à une véritable résistance face au mensonge. Le récit de cet épisode possède, par moments, les qualités de l’aube : clarté, fraîcheur, volonté d’embrasser tous les possibles. De très beaux passages où l’individu fait corps avec la nature – il est perdu en pleine campagne -, tracés par petites touches.
Au départ absurde, l’événement serait propre à tenir l’émotion du lecteur à distance. Il en est tout autrement. La dernière partie du récit, surtout, intitulée « Colère », parvient à donner toute son ampleur au drame. On n’en attendait pas moins de la plume de Wajdi Mouawad. Les mots sont vifs, tranchants, les phrases comme des coups de massue. L’incantation du sens ouvre cette fissure béante du réel qui montre enfin son visage. Et ouvre aussi chez le lecteur la porte, trop peu empruntée, d’un sentiment de solitude, momentanément libéré.