Malgré son nom et son âge, il y a de la Zazie dans Sappho-Didon Apostasias, la narratrice du dernier roman de Catherine Mavrikakis. Cette péronnelle colérique et théâtrale a la juvénile insolence de l’héroïne de Raymond Queneau bien que tous, y compris l’auteur, voient plutôt en elle l’Antigone Tottenwald d’un roman de Robert Laflamme, « le » grand écrivain mythique québécois contemporain, dont plus d’un trait (et même certains véritables pastiches, au fil du texte) évoque Réjean Ducharme et son Va savoir. Si les héroïnes antiques, la poétesse de Lesbos et la reine de Carthage de son « vrai » nom, se combinent à la pieuse ensevelisseuse de Sophocle qui lui sert de pseudonyme, affublée d’un lugubre nom de famille germanique (Bois des morts) c’est que ce personnage en quête d’auteur, qui est aussi une auteure en quête de personnages, y compris ceux qu’elle pourrait jouer elle-même, se débat dans un espace où la malédiction d’être une survivante vous a des accents de Confession d’un enfant du siècle. Si ce n’est pas, même – l’apostasie du nom oblige – de ce Lorenzaccio où l’ambivalence qui marque notre époque se trouvait déjà une illustration spectaculaire.
Ce qui se joue d’abord ici c’est le désir de littérature. Comme une rancœur. La génération de Musset voyait le signe de son destin surnuméraire dans les écrasantes figures de Bonaparte et d’Hugo, celle de Sappho-Didon le déchiffre dans la trajectoire météorique d’Hubert Aquin, « Hubert le Magnifique », comme dit le texte, prince définitif de ce pays incertain qu’est le Québec littéraire. Car cette collectivité maniaco-dépressive qui est la nôtre a la même haine, au fond, de la littérature et de la culture, que ses voisins du Sud, et c’est ce qui rend sa littérature si enragée (et parfois enrageante).
Dans une écriture qui n’est pas sans évoquer, souvent, par sa force rapide, les grands véhéments du siècle précédent, Louis-Ferdinand Céline ou Thomas Bernhard, Catherine Mavrikakis décrit par la voix de son personnage-narrateur une intensité amoureuse d’elle-même et qui s’évertue, à force de nervosité, de virulence aussi, à faire coïncider amour et haine, comme si l’une n’était que la volte-face, en forme de pudeur, de l’autre. Il se pourrait bien qu’elle ait ainsi réussi, dans une ambiguïté savamment combinée, à dresser le portrait, non pas en pied mais plutôt à cheval, à la hussarde, d’une génération qui n’a plus que l’urgence pour viatique ou philosophie, parce que c’est tout ce que les temps postmodernes lui ont laissé, dans l’interminable apocalypse molle où ils croupissent.