Paru il y a 20 ans en Hongrie, Être sans destin est passé inaperçu. C’est avec la version allemande que ce livre a connu le succès et que l’écrivain hongrois est sorti de l’ombre. Publié en français chez Actes Sud en 1998, ce roman fait de nouveau partie de l’actualité littéraire alors que son auteur vient de recevoir le Prix Nobel de littérature.
Lui-même déporté dans les camps de la mort, Imre Kertész choisit la forme autobiographique pour raconter l’effroyable expérience de déshumanisation qui fut le lot des juifs sous le IIIe Reich. Parmi les innombrables témoignages et écrits sur les camps de concentration, Être sans destin se distingue par son point de vue : un adolescent de 15 ans relate au fur et à mesure qu’il les vit les événements qui font la trame de sa vie dans les camps de la mort.
L’étoile jaune marque le début de la lente déshumanisation : la honte succède bientôt à la surprise, la séparation à la honte, puis ce sera le dépouillement, la perte de l’identité, la désorganisation, la peur et finalement le désespoir. Contrairement à l’adulte qui s’est déjà frotté à la mesquinerie et à la méchanceté des hommes, en même temps qu’il perd tout, l’adolescent se voit dépouillé des illusions qu’on met habituellement une vie à perdre ! Puis il perd aussi son innocence ce reste d’enfance qui, paradoxalement, l’aide peut-être à tenir plus longtemps : « Je connais trois moyens – pour les avoir vus, entendus ou expérimentés – de s’évader d’un camp de concentration. Moi-même j’ai pratiqué le premier et, peut-être le plus modeste – mais bon, il y a dans notre personnalité un domaine qui, comme je l’ai appris, est notre propriété perpétuelle et inaliénable. Le fait est que, même en captivité, notre imagination reste libre ».
Ceux qui réchappèrent d’Auschwitz, de Drancy, de Dachau, d’Oranienburg- Sachsenhausen, de Buchenwald, de Zeitz , et tout particulièrement les enfants, ont appris plus tôt que les autres que toute vie est révocable, qu’elle est un sursis généralement accordé par le destin et, trop souvent encore, par des hommes qui veulent effacer toutes distinctions, aveuglés qu’ils sont par la cupidité, le désir de toute-puissance et la haine de l’Autre. Le livre est comparable au cinéma vérité : on le lit comme si l’on s’engouffrait avec l’auteur, caméra à l’épaule, dans l’univers concentrationnaire.