Carrefour de lecture, d’interprétation et de réflexion que ce livre vivant au titre simple et magnifique. Le destinataire : une « conscience menacée », la nôtre, occidentale. Menacée par quoi ? Par un oubli tragique nuisant gravement à la perpétuation de ce qu’il y a d’humain en l’espèce humaine : le lien irréfragable entre la vie, la mort et la vérité. Où cette conscience gît-elle ? Dans les grands textes qui portent l’histoire, laquelle peut se lire à partir d’eux puisqu’ils constituent une inépuisable source de signes. Raconter, c’est, pour une culture, un sujet, se survivre et accéder, selon Thierry Hentsch, à une forme d’immortalité, ce que démontre notre fabuleux « patrimoine narratif ».
Si l’on se place dans cette perspective, comment expliquer que nous en soyons venus à opérer une sauvage dénégation de la mort ? D’où nous vient cette peur morbide, d’autant plus que, comme le souligne Thierry Hentsch, l’Occident, malgré son identification à la découverte, s’est inscrit, par son nom (le couchant), dans l’horizon de la mort. C’est entre autres à cette question que tente de répondre l’auteur en se penchant sur les textes canoniques de notre tradition avec, comme toile de fond, l’inévitable débat, posé par le récit (et par la topo-logique de la fiction), entre mythologie et philosophie. Nous voici donc conviés à un troublant voyage (semblable à celui que proposait Erich Auerbach dans Mimesis) nous conduisant de L’épopée de Gilgame à l’épopée cartésienne, en attendant que le second tome nous reprenne au milieu du XVIIe pour nous conduire jusqu’au XXe siècle. Les escales enchantent : Homère, la Torah, Hésiode, Chrétien de Troyes, Rabelais et Shakespeare, pour n’en nommer que quelques-unes. S’agissant de l’Évangile, une question insoluble, et combien féconde, porte la réflexion : l’histoire du Christ peut-elle être reçue comme un mythe ? Mieux : cette proposition de lecture a-t-elle un sens ?
Contrairement à ce que colportent les adorateurs du virtuel, on voit que le récit n’est pas mort et que la volonté de durer prend de nouvelles formes, parfois incroyables, dont les âmes nous sont encore difficilement reconnaissables. À l’ère de l’humain jetable, comment tenir sans nostalgie le pas gagné de la vie ?