Aussi précise que discrète, Jacqueline Lévi-Valensi voue à Albert Camus et à son journalisme ardent une admiration que l’on comprend. La vigilance avec laquelle elle scrute l’époque sur laquelle agissent les 165 articles réunis dans Camus à Combat, le tact qu’elle investit dans l’identification des proches et des cibles, tout cela donne accès à une conscience à la fois ouverte sur l’éternel humain et immergée dans la dureté de son temps. Car il revint à Albert Camus de rappeler jour après jour les valeurs qui redonnent sa dignité à un pays vaincu. Il fut de ceux qui cheminèrent de la résistance à la libération en gardant la volonté rivée à ce qui devait être fait. Le travail minutieux et chaleureux de Jacqueline Lévi-Valensi ressuscite la voix du journaliste dans ce qu’elle eut d’unique : sa clarté, son éthique.
Comme il se doit, les textes où Albert Camus parle de morale retiennent l’attention. Il exige de l’homme qu’il connaisse sa voie et qu’il s’y tienne, qu’il se conduise proprement, qu’il parle net. Quand la France torture, Albert Camus, cinquante ans avant que la France s’en confesse, dit à haute voix qu’il s’agit d’une infamie. Et il précise que les tortionnaires sont des racistes. Quand survient Hiroshima, il estime que « la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie » et il aspire au jour où les nations, petites ou puissantes, jouiront de droits comparables.
Cette élévation de pensée obtient sa récompense en ce qu’elle autorise Albert Camus à prophétiser avec une fascinante justesse. Dès la création de l’ONU, il voit que le droit de veto est une négation de la démocratie et prédit que l’humanité en souffrira. Quand, cependant, il se trompe, comme dans son débat avec François Mauriac au sujet de l’élimination des collabos, la même droiture le conduit à reconnaître sur la place publique que « M. Mauriac eut raison ».
Par un louable mimétisme, Jacqueline Lévi-Valensi évalue avec la même rigueur la probabilité que tel texte non signé soit ou ne soit pas de la main du célèbre écrivain. Elle rend son dû à l’auteur et rien de plus. Du beau travail qui garde sa pleine pertinence à du grand journalisme.