Étrange, ce recueil dédié « à celui-là dont le cœur est ébranlé »… J’hésitais d’abord entre exécrer ce lyrisme de la souffrance, et saluer cette pensée de la déréliction typiquement québécoise. Pour apprécier, il faut lire au-delà, fouiller la plaie qui s’agrandit à dire la douleur du monde. L’expérience est confrontante.
Pétri par l’influence de Saint-Denys-Garneau, ce livre de François Charron offre une suite logique à son essai L’obsession du mal paru l’an dernier. À la géhenne du quotidien, à l’impossible salut et à la médiocrité ambiante répondent les vers, en phrases simples et courtes. On pense aux propositions de logique formelle. Pointe alors le parti pris philosophique d’un François Charron, en dialogue avec la question de l’être. Ces phrases rappellent aussi les cadavres exquis et l’écriture automatique d’où émerge l’ordre de la subjectivité, du désir. Le poète obéit à cet ordre impérieux, cause de douleur, car le désir organise et désorganise le monde. La tension vers la plus simple expression semble portée par une souffrance qui empêche d’en dire plus, qui jugule même le souhait d’en dire plus.
Le vocabulaire issu du catholicisme rappelle l’importance de la religion dans la culture québécoise, malgré les efforts déployés depuis les années 1950 pour s’en dégager. Le lexique de la douleur en est traversé pour embrasser et interroger un certain rapport au monde qui en découle. Voilà qui peut provoquer des résistances bien compréhensibles, mais François Charron a le courage d’appuyer sa poésie sur ce point névralgique. Se placer dans ce rapport, à la fois ouverture et limitation de la perception, est peut-être un repli dans les mots d’une tradition intellectuelle devant tout ce qui est difficile à appréhender, tout ce qui reste dans l’informe, le chaos du monde en question. Mais c’est une réponse, avec son merveilleux et surtout cette manière inimitable de rendre sensations et impressions avec une saisissante acuité.