Les femmes auteurs « [semblent avoir (. .)] une case de moins dans la tête et une fibre de plus dans le cœur. » Voilà une citation éloquente qui illustre l’explication biologique et naturelle qui a conditionné le rejet des œuvres des femmes auteurs au XIXe siècle et la catégorisation en sous-genre des exceptionnelles publications féminines. Ce sont justement ces œuvres approuvées par l’institution littéraire de l’époque qui intéressent la professeure de littérature Rachel Sauvé, qui en étudie les préfaces allographes afin de dégager les lois sibyllines qui ont conduit à l’exclusion des femmes en littérature. Toute la valeur de cet essai repose sur son excellente rigueur méthodologique. L’ouvrage offre en effet une riche documentation et les thèses avancées sont constamment renforcées ou corroborées par des travaux reconnus tels ceux de Michel Foucault et de Marc Angenot. De plus, l’étude porte sur un corpus abondant et significatif de 210 préfaces rédigées entre 1803 et 1899, analysé sous la lentille d’instruments d’analyse éprouvés et ce, dans une approche intertextuelle et interdiscursive qui permet d’embrasser le sujet globalement.
Cette analyse de la préface dévoile les règles qui présidaient à la publication de l’œuvre d’une auteure : désintéressement pécuniaire, modestie, thème de la sphère privée, genre biographique et surtout, dénégation de l’intention de publier. Tels étaient les critères qui déterminaient l’acceptation d’une œuvre de femme par l’institution littéraire. Quant au statut d’écrivain, les littéraires ont manifesté un acharnement à le refuser aux femmes en recourant à des critères discriminatoires pour l’appréciation de leurs œuvres. Par exemple, le caractère moral du roman d’une auteure servait à juger sa qualité esthétique. Par ailleurs, l’analyse rhétorique fait ressortir les doubles discours des hommes pour éloigner les femmes de leur chasse gardée. D’une part, la non-reconnaissance au droit à l’individualité de la femme privait cette dernière d’accéder à l’universalité, d’autre part un scepticisme éhonté affligeait les œuvres véritablement géniales.
Néanmoins, quelques femmes ont réussi à publier au siècle dernier. Mais sans cesse, on leur a signifié que là n’était pas leur place. Rachel Sauvé souhaite maintenant que des chercheurs s’intéressent à réhabiliter ces textes afin de corriger cette discrimination et de donner toute la reconnaissance qu’elles méritent aux femmes auteurs du XIXe siècle.