Fer de lance de la littérature acadienne depuis près de treize ans, les éditions d’Acadie ont permis à près de soixante-dix écrivains acadiens d’être publiés. Avec maintenant plus de cent titres au catalogue et une production annuelle de quinze à vingt titres, cette jeune maison d’édition est devenue un véhicule essentiel de la culture acadienne. Nous avons rencontré son directeur, Michel Henri. Il nous raconte l’histoire, les contraintes et les succès de sa maison d’édition.
« Il n’était pas facile d’être écrivain acadien dans les années 1960. À moins d’intéresser un éditeur québécois, phénomène rare, les chances d’un auteur d’être un jour publié paraissaient très minces. Aussi, en 1972, quelques auteurs décidaient de prendre leur sort en main et de fonder une maison d’édition typiquement acadienne : les éditions d’Acadie. En plus de s’éditer eux-mêmes, les fondateurs espéraient stimuler l’émergence de nouveaux auteurs et l’épanouissement d’une littérature acadienne dynamique.
Comme c’est souvent le cas dans une nouvelle maison d’édition à vocation littéraire, les premiers livres furent consacrés à la poésie. Je pense à Melvin Gallant, Herménégilde Chiasson, Léonard Forest, Raymond Leblanc, pionniers de la première heure. Mais, très rapidement, la maison s’ouvrit au roman et au théâtre. Des livres tel Gabriel et Geneviève d’Hector Carbonneau, Raconte-moi Massabielle de Jacques Savoie et Ti-Jean de Melvin Gallant sont parmi les plus connus. Ce qui par contre est nouveau pour nous depuis deux ou trois ans, c’est l’ouverture aux autres genres comme les livres scolaires, les livres pratiques et les essais. On publiait récemment, entre autres, un essai politique, La question du pouvoir en Acadie ; un guide pratique de disciplines en milieu scolaire, La règle ou la raison ; ou encore notre tout dernier-né est le premier livre d’une collection universitaire, L’histoire de la littérature acadienne. Nous nous sommes ainsi progressivement implantés dans un beaucoup plus large secteur du public acadien.
Notre vocation est avant tout régionale, c’est sûr ! Comme maison d’édition acadienne, c’est normal de publier d’abord et avant tout des auteurs acadiens ou des livres qui parlent de l’Acadie ; mais ceci n’empêche pas que certains de nos livres atteignent, en termes de contenu, une dimension universelle. Je prends par exemple le dernier livre de France Daigle, Sans jamais parler du vent, qui reçoit présentement un accueil très chaleureux de la critique, tant au Québec qu’en Acadie, ou encore à un essai comme La règle ou la raison, qui peut devenir un instrument de référence pour les parents et professeurs de n’importe où. »
Compenser par l’imagination
« Sur le plan pratique, notre gros problème en Acadie, c’est de mettre en marché et de distribuer nos livres pour les rendre accessibles à l’ensemble des Acadiens. Il n’existe pas comme au Québec un réseau de librairies structuré. Seulement six librairies francophones tiennent une proportion importante de notre fonds. En incluant les tabagies et les kiosques d’été, on est présent dans une quarantaine d’endroits au Nouveau-Brunswick. On doit donc compenser par l’imagination pour pousser la pénétration de nos livres. On organisera des séances de signature, des conférences ou des lectures avec nos auteurs par exemple. Ou bien alors on proposera aux magasins d’une localité de garder en consignation les livres de l’auteur du coin. Les gens sont plus curieux des livres écrits par quelqu’un de chez eux.
Le Québec représente aussi un débouché important pour nos livres ; quinze pour cent de notre chiffre d’affaires provient de nos ventes au Québec et je crois qu’on pourrait augmenter sensiblement ce pourcentage. Les Québécois sont de plus en plus curieux des Acadiens. On ne nous considère plus comme une espèce en voie de disparition. Il y a aussi pour nous tout le marché des Acadiens immigrés au Québec. »
L’aide de l’État
« Mais il demeure évident qu’une maison d’édition acadienne, avec un bassin de population de 250 000 personnes, a besoin d’un soutien financier de l’État pour survivre. D’ailleurs, même les maisons d’édition québécoises, avec un marché potentiel de six millions d’habitants, ne peuvent s’en sortir sans subventions. On reçoit donc de l’aide du Conseil des Arts et du ministère des Communications du Canada. On obtient également un montant du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Mais la province n’est pas riche, et malgré les promesses « électorales » qu’on nous fait, le chèque n’est jamais très élevé. Les éditeurs anglophones de la province ont d’ailleurs les mêmes difficultés que nous, mais je crois que, dans l’ensemble, l’édition francophone est plus dynamique. On a peut-être plus de choses à dire parce qu’on est dans une situation culturelle plus instable.
Présentement, on arrive à une croisée des chemins. Après avoir fonctionné en grande partie sur une base de bénévolat, il devient de plus en plus difficile, avec plus de cent livres à gérer et une production annuelle de quinze à vingt titres, de continuer un travail professionnel sans une équipe permanente. On n’a pas encore la solution, mais il est sûr qu’il faudra bientôt se trouver un nouveau type de fonctionnement adapté à nos besoins. »
Des best-sellers féminins
« Un tirage moyen chez nous se compare au tirage d’une maison d’édition québécoise de même type. On vend certains titres à 400 exemplaires, d’autres à 2000. Le guide de la cuisine traditionnelle a dépassé pour sa part 5000 copies en 2 ans. C’est un « best-seller » pour nous. D’un autre côté, le livre de Germaine Comeau, L’été aux puits secs, tiré à 750 exemplaires et épuisé en 6 mois, est également, compte tenu du genre, une très bonne réussite.
Les femmes sont omniprésentes dans la littérature acadienne. Nos meilleurs auteurs sont des femmes et elles représentent plus de cinquante pour cent de notre fonds d’édition. C’est peut-être une question d’endurance à la lutte, un besoin plus pressant de s’exprimer, de sortir de leur coquille. Sur nos dix derniers titres, cinq sont écrits par des femmes : France Daigle, dont j’ai déjà parlé ; Diane Légère, une poète qui vient de publier un très beau livre, Sorcières de vent ; Jeannine Landry Thériault, une romancière qui génère une clientèle très fidèle avec Le moustiquaire ; Marguerite Maillet avec son Histoire de la littérature acadienne et L’été aux puits secs de Germaine Comeau. C’est donc un apport majeur dans notre littérature. »
Tourné vers l’avenir
« Au Nouveau-Brunswick, nous retrouvons maintenant quatre maisons d’édition francophones : les éditions d’Acadie, les éditions Perce-Neige, les éditions de l’Océan et les éditions des Aboiteaux. Il est difficile de parler pour les autres maisons d’édition francophones du Canada mais il me semble qu’il s’y passe des choses très dynamiques. Je pense, par exemple, à des maisons bien établies, comme les éditions du Blé ou les éditions des Plaines au Manitoba et les éditions Prise de parole en Ontario. Pour ma part, j’y vois le signe de cultures encore très vivantes. Aussi, quand on parle d’extinction des francophones hors Québec d’ici 100 à 150 ans au rythme d’assimilation actuel, on veut peut-être nous enterrer un peu vite. Et puis, le courant peut toujours changer de bord ! »
Denis Lebrun a été co-fondateur et directeur du magazine Nuit blanche jusqu’en 1990.