Le chaos
Est-il vrai que parmi les conjurations,
le vide resurgit chaque nuit ?
Est-il vrai que sans cesse
le monde est appelé à renaître,
pour que nos yeux jouissent de chaque aurore ?
Est-il vrai qu’au crépuscule
les habitants du Parnasse nous quittent,
pour que les étoiles dévoilent les rêves ?
Est-il vrai que l’unique vigie
qui reste en éveil est l’Océan,
qui épuise le sanglot de tous les êtres de la terre ?
Où est ce lieu légendaire étranger à nos yeux ?
Où est cette terre qui attire tous les éclats ?
Qui parmi nous pourrait en ce jour
faire renaître les divinités de l’Olympe ?
Les échos des oracles de Delphes
évoquent les dieux,
invoquent leur puissance,
convoquent leur présence.
Lointaine terre consacrée,
à peine couverte par les nuages,
garde en son sein les orphiques notes d’une lyre
et le souffle des muses.
Rien ne peut être effacé de ce monde.
Chaque empreinte reste tatouée sur les chemins,
on marque au poinçon nos noms sur l’argile.
Les traces des dieux et des coursiers
toujours se dessinent sur les eaux et le sable.
Une présence mnémonique transite par les airs.
Rien ne meurt à jamais.
Tout reverdit dans la mémoire :
qui sait si le germe de la lumière
ne palpite dans le règne des morts ?
Ah ! perpétuelle dualité.
Pour restituer le monde nous voyageons à chaque aurore.
Seules les voix mythiques
nous amènent à écouter le message des astres.
Bouffée de lumière,
le voile de la déesse nous enveloppe,
les ongles de la brunante grattent la terre,
et ouvrent des jachères dédaléennes.
Où donc se cache le soleil ?
En quelles élyséennes prairies ?
Un brouillard tartrique nous entoure.
L’oiseau d’Averne approche,
il nous confie au cœur du cerbère.
Échos des eaux,
brumes bleuâtres.
Le silence ne tremble qu’au-delà des étoiles.
Si nous l’entendions,
ni son ombre pourrions-nous supporter.
Le chant des oiseaux nous étourdit,
pour éviter d’affoler par le cri
qui perce l’âme.
Le ciel est couleur de cendre et de plomb.
La nostalgie indigo nous confine à la solitude.
Coupez sans réserve, Parques
le destin que vous nous tracez !
Montrez-nous le chemin qui mène
à des lieux inconnus.
Flamme de vestale,
parole enflammée,
voix de tempête.
Je commence à sentir le vide.
Je n’entends que ma propre voix
et le souffle des oiseaux qui dorment.
Quelle main prodigieuse agence
l’ordre du cosmos et la lumière de l’univers ?
Si la vigueur des étoiles nous faisait pousser la porte
qui conduit à la demeure des dieux,
si pour un seul instant nous pouvions perpétuer le temps.
Nous souhaitons trouver les certitudes,
sans voir qu’elles sont inscrites
dans les bouleaux, les marronniers et les mûriers.
Nos jours nous rappellent Sisyphe.
Dans l’éclat de la mer,
dans le murmure du sable,
dans une esquisse de lumière surgit la lueur
qui courbe l’inébranlable fuseau.
La fileuse des ombres
se prépare à insérer ses fils.
La luminosité ceint la douceur du lièvre.
Je m’éveille baignée de lumière.
Dans chaque pore je sens le frémissement de la lune,
dans mes veines palpite la conjuration de la lune,
ma peau conserve la saveur ailée de la lune.
Et les chœurs de la nuit
évoquent la déesse,
invoquent sa puissance,
convoquent sa présence.
Les mains de Pénélope tissent puis défont les chemins.
Ah ! labyrinthe des peines et des sourires.
Regard compulsif qui éclaire le monde.
Soif.
Fer.
Rouille,
chaîne corrosive qui entraîne l’homme.
Je saisis et déguste l’arôme boréal du ciel.
L’air est plein de brise, le fleuve, d’éternité.
La splendeur du vent se lève en un sifflement qui blesse.
J’habite une île qui abrite le Nom.
Tlaloc, le dieu de la pluie
Silvia Pratt, née à Mexico, est poète, traductrice et interprète.
Silvia Pratt a écrit cinq recueils de poésie :
Caldero ciego, Encendido espacio, Crujir de la hojarasca, Espiral irrepetible, et Isla de luz, écrit à Montréal au cours de l’été et de l’automne 2002, dans le cadre du programme d’échange de résidences artistiques Mexique-Québec, grâce à l’appui du Fondo Nacional para la Cultura y las Artes de México (Fonca) et du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), avec l’appui de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ). La traduction de ce recueil, intitulée Île de lumière, est parue aux éditions du Noroît, en 2006. L’extrait qui précède est issu de cette traduction.
Silvia Pratt a beaucoup traduit de poésie : une anthologie de textes de Francis Ponge ; Baie de feu de Robert Lalonde ; Quatre échos de l’obscur de Claude Beausoleil ; Les murs de brouillard de Yolande Villemaire ; Vagues de Fredric Gary Comeau ; Je m’en vais à Trieste de Nicole Brossard, ainsi que la plaquette Oh merveille de Louise Warren. Elle a aussi traduit Saisir l’absence et Le siège du Maure de Louis Jolicœur ; La chambre verte de France Mongeau (sous presse) ; La manière d’être de Claude Beausoleil et Soleil comme un oracle de Louise Warren.
Elle a été membre du Conseil consultatif du Centre international de traduction littéraire de Banff en tant que représentante du Mexique (2003-2006). En novembre 2005, elle a reçu une Distinction honorifique de l’Université du Québec pour son travail d’écriture, de traduction et de promotion de la littérature québécoise. Elle vient d’obtenir le Reconocimiento de la Gran Orden de Honor Nacional al Mérito Autoral.