Il y a dans le bouddhisme une vocation : la délivrance de tout être. Celui qui y parvient, ayant affronté lui-même les racines de la douleur – le désir et l’ignorance qui fortifient les trois racines du mal : la convoitise, la haine et l’erreur –, se voit désigné comme Bouddha, c’est-à-dire comme un Éveillé. A-t-il adopté une philosophie de vie ou n’est-il que la brebis d’une religion exotique ?
Chose certaine, la souplesse de l’enseignement et de la pratique du bouddhisme est directement liée à l’absence d’une autorité suprême dictant le canon de la foi. Certes, le Dalaï-Lama et les grands maîtres transmettent un enseignement rigoureux basé sur des textes d’une virtuosité conceptuelle remarquable, mais ils évitent surtout d’imposer leur vérité. Rien de surprenant à ce que la paix dans le monde constitue un enjeu critique des cultes, des rituels, de l’art et de la littérature des peuples s’étant convertis à travers les âges au bouddhisme. Et si le Dalaï-Lama est aujourd’hui devenu une star, c’est à mon sens parce que sa Parole porte la dimension essentielle du religieux, à savoir une pratique empirique et concrète du sacré. Que l’on définisse le bouddhisme comme une religion (des institutions, aussi flexibles soient-elles, restent nécessaires pour assurer la transmission) ou comme une philosophie importe finalement assez peu. Le point capital est qu’il se garde de tomber dans la crispation dogmatique.
Le bouddhisme comme diététique
Comment mieux traduire la sagesse du bouddhisme qu’en parlant d’une « pragmatique spirituelle » ? Cette expression énonce en tout cas la déconcertante simplicité de cette discipline, et l’intérêt d’Intuitions du bouddhisme1, magnifique radio-livre réalisé par Sion Assouline, vient de ce qu’il l’épouse tant dans son ton que dans sa forme. Pour rendre l’esprit du bouddhisme, le réalisateur élabore une série d’émissions laissant entrevoir en acte le déconditionnement nécessaire, ce qui explique qu’il nous propose des fragments de son journal, des extraits de ses lectures et des citations en plus de nous offrir de très beaux entretiens avec Dagpo Rinmpotché, Jacques Languirand, Roger-Pol Droit, François Jullien et plusieurs autres.
Tous les matériaux utilisés par Sion Assouline servent à démontrer la joie éprouvée à se dégager du superflu : « Une philosophie portative qui serait à la fois un art vivant et une science intuitive, existentielle, expérimentale, efficace, ordinaire, ancienne, actuelle, généreuse, spirituelle et surtout, non ésotérique, offerte à Madame et Monsieur-tout-le-monde, quand bien même ils n’auraient lu ni Kant ni Descartes Mais je vous entends déjà : ‘Ce serait bien trop beau pour être vrai’ » Or, quiconque a pratiqué la méditation bouddhiste avec quelque régularité sent que cela est vrai. Dès lors que l’on accepte de partir de soi et de cultiver l’attention pure en convoquant les capacités de son propre esprit afin d’intégrer les Quatre Nobles Vérités (l’existence de l’insatisfaction, sa cause, sa cessation et la voie qui y mène), une justesse d’action et de vision apporte un souffle de libération quasi immédiate. Il ne faudrait toutefois pas croire que l’Éveil se gagne facilement. Partir de soi n’équivaut pas à revenir au Moi, au contraire. La légèreté de l’être n’est soutenable que si et seulement si diminue le poids de l’ego. Méditer, c’est pour le sujet consentir à demeurer au plus près de sa perception brute des phénomènes du monde et à faire porter sa concentration sur les flots de sa conscience s’il souhaite s’engager enfin dans une diète qui l’amènera à faire le deuil de ses principes d’unité transcendantale.
On saisit en tout cas la portée révolutionnaire du bouddhisme : au lieu de formuler un projet visant à modifier l’axe dominants-dominés, il propose une éthique tablant sur une transformation du monde qui passe, ainsi que le souligne Jean-Paul Ribes dans l’un des entretiens du radio-livre, par la nécessité, non de changer la vie, mais de changer sa vie. Face à soi, la vanité et le nombrilisme que nous affichons face à l’extérieur deviennent ridicules, ne restent plus que l’authenticité et la vérité. À une époque où les souffrances du moi fragmenté sont devenues un jeu de marchandises, la nudité a sans doute ceci d’incontournable : elle oblige à voir les choses telles qu’elles sont. Nous détenons là une solide définition de la connaissance, et l’horizon d’une mort sereine.
La Roue du temps
Pour les bouddhistes, c’est donc en dépassant l’ignorance que chacun peut entrevoir la sagesse lumineuse de l’esprit. Cela n’est possible qu’au terme d’un long cheminement impliquant la pratique de la méditation, laquelle amène progressivement au détachement, au fameux lâcher-prise dont on nous rabat trop souvent les oreilles sans réaliser qu’il consiste en un apprentissage radical de la vacuité. Tout l’intérêt du système de connaissance du Tantra de Kalachakra tient en effet à ce qu’il démontre l’interdépendance de tout. C’est le sens de la notion d’absence d’existence inhérente : nous ne saurions être ce que nous sommes puisque nous n’existons qu’à partir de ce que nous ne sommes pas.
Ces éléments de base sont au cœur de l’initiation généreusement donnée partout dans le monde depuis 1970 par le Dalaï-Lama dans un esprit de compassion, de paix et d’amour. C’est le texte intégral du rituel accompli en trois jours par le chef du gouvernement tibétain en exil, et accompagné de ses commentaires, que présente l’excellente édition signée Sofia Stril-Rever, intitulée L’initiation de Kalachakra, Pour la paix dans le monde2.
Mais d’abord, que signifie le terme Kalachakra ? Le Livre I du Tantra fournit l’explication, citée par l’éditrice : « Kla, le temps, représente le monde des phénomènes. Chakra, la roue, représente la vacuité ». À cette explication, on doit superposer celle du Dalaï-Lama lui-même : « Le temps renvoie à la félicité immuable et la roue aux différentes formes vides ». La roue figure donc « l’inter-être » et implique une expérience profondément politique fondée, comme le souligne Thich Nhat Hanh (Une flèche, des illusions, Éditions Dzambala, 1998), sur l’état de conscience non-duel au cœur duquel s’exprime justement le lien entre les hommes.
Dans ce système, rien ne se comprend sans référence à la relation et à la fusion avec le Tout, ce qu’indique déjà le mot Tantra, qui signifie « continuité » et « trame », et désigne d’une part un corpus de textes d’enseignements révélés par le Bouddha et, d’autre part, le contenu même de ces textes, à savoir les différentes classes d’enseignement. Sans entrer dans les raffinements philosophiques, il convient de souligner que la vacuité à laquelle peut parvenir le pratiquant est bien davantage qu’un concept abstrait puisqu’elle est vécue dans l’expérience concrète et quotidienne, notre corps constituant une sorte de lieu de coïncidence sacré et de rassemblement dans le temps des multiples éléments qui nous constituent comme matérialité illusoire.
Voilà qui explique pourquoi le système de Kalachakra procède d’une conception cyclique du monde se basant sur les cycles respiratoires connectant l’être humain tout autant avec l’histoire qu’avec les grands mouvements cosmiques. Il s’agit par conséquent de synchroniser nos énergies internes et les énergies cosmiques, parcours qui conduit à accéder aux plans subtils situés au-delà de l’opposition entre le sujet et l’objet, soi et autrui, la réalité extérieure et le sujet intérieur.
Évidemment, toutes ces considérations peuvent sembler ésotériques à un esprit occidental. Et qui n’est pas familier avec la légende, les mythes et l’eschatologie propres au système pourrait confondre allègrement les prophéties nébuleuses d’un gourou comme James Redfield (Le secret de Shambhala, Robert Laffont, 2001) avec l’enseignement du Dalaï-Lama ou du maître Chogÿam Trungpa, l’un et l’autre encourageant les pratiquants à une préparation les incitant à se transformer petit à petit en guerriers spirituels. Mais ce serait là faire l’économie de la véritable science de l’esprit que constitue l’enseignement des méthodes de transformation de soi de Kalachakra – ce qu’établit entre autres l’attention que portent, depuis plusieurs années, à ce système de modification de la conscience, des chercheurs en neurosciences comme Francisco Varela. Par la pratique du tantrisme, nous prenons conscience de notre impermanence et des racines de notre souffrance. Mais cela n’est possible que si nous nous engageons à atteindre les deux dispositions fondamentales de l’esprit que sont la bonté et la sagesse (prajñ, en sanskrit). Le monde vu à l’aide des lunettes bouddhistes en est un d’infinie fluidité, de mouvement perpétuel. Une fois défaite la rigidité de nos raisonnements et une fois réalisé le fait que nos névroses proviennent de notre tendance à nous identifier à nos désirs, la paix devient possible parce que nous abandonnons nos polices d’assurance paranoïaque pour développer la communication compatissante.
Temps et action
Pour qui voudra pousser plus loin la réflexion sur le bouddhisme et peut-être même entrer en contact avec un maître pour amorcer la pratique de la méditation, je conseille de compléter l’ouvrage du Dalaï-Lama par L’initiation de Kalachakra, Fondements théoriques et pratiques3d’Alexander Berzin, interprète de Sa Sainteté durant plusieurs initiations. Réunissant quelques-unes de ses importantes conférences, ce traducteur érudit reprend ici l’essentiel de ses enseignements oraux en les étoffant pour présenter, entre autres, de manière simple et rigoureuse, le système de Kalachakra, l’astrologie et la médecine tibétaines, la fameuse théorie des Tantras, le rôle joué par la transmission des vœux, les engagements, les visualisations comme moyen de développer nos facultés ainsi que les critères permettant de savoir si chacun est prêt ou non à recevoir l’initiation. Cet ouvrage propose donc, outre le résumé de l’initiation, un riche exposé des fondements théoriques du système et des outils pratiques aidant à atteindre le plan profond des Tantras, à savoir celui de la sagesse au sein de laquelle nous réalisons inévitablement la vraie nature des choses, leur production en dépendance, bref ce qu’on appelle, dans le vocabulaire bouddhiste l’ainsité (tathat).
S’adressant à la fois aux pratiquants chevronnés et aux observateurs, Alexander Berzin commence par donner l’heure juste : non, la pratique du tantrisme ne remplace ni le Viagra ni l’ecstasy, une initiation de Kalachakra se confondant difficilement avec un gang bang ou un party rave. En fait, l’initiation a pour but de transmettre « le pouvoir et la capacité de nous engager dans des pratiques spécifiques de méditation qui ont pour finalité ultime la réalisation de l’Éveil, l’accès à l’état de Bouddha pour le bien de tous les êtres ». Autrement dit, le Tantra nous amène à devenir nous-même un Bouddha, c’est-à-dire un être éveillé ayant atteint la félicité-vacuité. Mais attention ! On ne monte pas dans le véhicule tantrique sans avoir une longue feuille de route en méditation, ce que rappelle l’auteur en précisant qu’il faut également posséder les connaissances théoriques suffisantes pour être à même de choisir le système tantrique qui nous convient le mieux. C’est pourquoi il nous propose un survol détaillé du système de Kalachakra en partant de la définition bouddhiste du temps parce qu’elle nous permet d’estimer adéquatement l’action dans le monde. « La libération par rapport au temps extérieur et au temps intérieur doit être entendue comme une victoire remportée sur l’esprit de confusion et sur les impulsions karmiques qui nous soumettent sans merci aux ravages exercés par le temps extérieur et le temps intérieur. » Bref, l’initiation de Kalachakra nous met en contact avec une pratique complexe dans laquelle il faut entrer progressivement en commençant par des visualisations très simples. Est-il besoin de dire combien la vie de qui s’y dispose s’en trouve transformée ?
De la pratique à l’étude
Pour Monsieur et Madame-tout-le-monde donc, le bouddhisme ? Oui, cent fois oui ! En fait, la très grande complexité du système n’empêche nullement tout un chacun de le pratiquer au quotidien, chose essentielle s’il en est une dans cette démarche existentielle. On aura beau manipuler les concepts, s’en gargariser, rien, absolument rien ne s’avance en nous sans que nous ayons le courage du guerrier, la puissance de nous asseoir pour assumer l’effrayante et joyeuse simplicité de l’exercice de l’ennui par excellence : la méditation. Les jeux de l’esprit et du langage pèsent bien peu à côté de la sincérité et de l’authenticité auxquelles accède celui ou celle qui fait face au détachement.
À l’opposé de ce que pourrait laisser cependant croire une telle insistance sur la pratique, la connaissance théorique demeure incontournable pour qui le besoin de compréhension répond à une nécessité. Le premier pas consiste à identifier les quatre formes majeures du bouddhisme, à savoir le bouddhisme ancien (désigné par les mahayanistes sous le nom de Hnayna), le Theravda (qui a surtout évolué au Sri Lanka et dans le sud-est asiatique), le bouddhisme sino-japonais (dans lequel on range habituellement les courants coréen et vietnamien) et le bouddhisme indo-tibétain (incluant le Mahyana, développé tardivement en Inde, et le Vajrayna, ou tantrisme, qui a trouvé refuge au Japon et fleurit aujourd’hui au Tibet). Sans ces distinctions, touchant au cœur de la pratique, on risque de se perdre dans l’océan du matérialisme spirituel aujourd’hui gonflé par la mondialisation. Pour les comprendre, je conseille l’admirable Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme4 de Philippe Cornu et son équipe.
Sans aucunement enlever leur mérite à des dictionnaires comme celui de l’Encyclopedia Universalis (Albin Michel, 1999), celui-ci s’adresse tout autant au grand public qu’aux spécialistes et démontre une attention plus soutenue à l’origine linguistique et culturelle des termes (plusieurs n’ayant pas encore d’équivalents en français ou en anglais). Les articles s’organisent selon six plans : concepts philosophiques, histoire, biographie des grandes personnalités, monographies traitant des textes canoniques, iconographie et art bouddhiques dans les différents pays. Opulentes, les annexes fournissent un matériel important qui regroupe entre autres plusieurs lexiques, une liste des principaux ouvrages bouddhiques ainsi qu’une liste essentielle de textes du Canon pâli (dit Tipitaka, ou « triple corbeille », parce que composé de trois grands groupes d’écrits rédigés à la fin du 1er s. av. J.-C., à la suite de l’invasion tamoule au Sri Lanka), capital pour saisir l’esprit profond du bouddhisme. C’est toutefois avec patience et bonhomie qu’il faut entrer dans ce stpa (« temple ») édifié par des fidèles érudits.
L’éprouvé
Communément entendue comme pratique bouddhique, la méditation ne lui appartient toutefois pas de manière spécifique. En réalité, c’est l’ignorance profonde des rituels du christianisme (et sans doute aussi un peu la force de l’image du moine assis, bedonnant et souriant par comparaison avec un Christ sanguinolent, fils d’un Dieu au visage invisible et d’un esprit vaporeux) qui nous font oublier que cette pratique est loin d’être étrangère aux religions occidentales. Il n’est pour s’en convaincre que de lire l’ultime texte du grand John Main, rédigé quelques semaines avant sa mort en 1982. Le chemin de la méditation5 constitue une synthèse de son enseignement. Il doit être lu – et même, éprouvé, au sens profond du terme qui renvoie à l’expérience de l’illumination – comme un mantra.
Au terme de sa vie, l’ancien professeur de droit international au Trinity College de Dublin venu fonder à Montréal le prieuré bénédictin en 1977 rend plus clair que jamais les éléments majeurs de la méditation telle qu’il la conçoit. Livrées verbalement lors des soirées tenues au monastère pour les moines et les laïcs durant des années, ces causeries, plutôt qu’à animer des débats, visaient à stimuler le plus profond silence. Le Père John écrivait par exemple : « Méditer, c’est comme franchir la barrière du son ». Une telle exigence requiert une extrême vigilance puisque le manque de discipline ouvre la porte toute grande à l’envahissement du bruit et nous fait perdre, outre la possibilité de la liberté, le point focal, « l’unité d’intention » permettant de passer « à l’effusion infinie de Dieu qui est infinie effusion d’amour ». Le méditant est moins appelé à se concentrer sur un support externe qu’à entrer en lui pour accepter d’être lui-même.
C’est pourquoi, selon John Main, on médite assis, immobile, mais les yeux fermés, alors que la technique Shambhala préconise par exemple le dépôt des yeux ouverts à une distance naturelle. Or, dans la mesure où notre société privilégie l’action davantage que l’être, rien de plus troublant qu’une telle proposition puisqu’elle nous engage à accepter le don en soi de la création. Le patient disciple de saint Benoît présente un outil élémentaire : le mot araméen de Jésus : Maranatha (« Viens, Seigneur »), un mantra à prononcer lentement à cause de ses sonorités idéales durant toute la durée de la méditation si l’on souhaite que l’esprit soit protégé (c’est d’ailleurs là l’étymologie du mot mantra). La simplicité du dénuement le plus total, voilà qui, tout en nous ramenant au centre de l’être, nous fait entrer en relation avec tous les centres. Méditer n’est pas un geste passif, mais un intense travail d’harmonisation et d’ordonnancement de la réalité.
Vénérable Nagasena, où demeure la sagesse? Nulle part, Sire.
Se rejoignent alors toutes les sagesses taoïstes, amérindiennes ou psychanalytiques : en chacun de nous loge le divin. Dieu, Vishnu, l’orgone ou la Kundalinî (l’énergie latente matrice de toutes choses) même puissance, même capacité à faire circuler le vivant, s’accomplir le mystère. La force de l’enseignement du Père John était justement de communiquer cette sagesse humble autorisant l’être à se réaliser dans toute sa puissance. En cela, il fut un maître spirituel qui ne s’intéressait pas à sa sagesse et visait celle qui pouvait lui être accordée par Jésus. En cherchant à se désaliéner de l’ego, il rejoignit sans l’ombre d’un doute les bouddhismes. Sera-t-on étonné de savoir qu’en se référant à Jean Cassien, il affirmait que « le mantra contient tout ce que peut exprimer l’esprit humain et tout ce que peut éprouver le cœur humain » ? Méditons sur ceci, que nous rappelle Sion Assouline : en pli, citta désigne autant le cœur que l’esprit
Que la sagesse – comme la folie – s’agite donc en tout sens et en tout lieu, un livre récent vient le confirmer. Il s’agit du remarquable Livre des sagesses6, organisé par Frédéric Lenoir et Ysé Tardan-Masquelier, accompagnés dans leur tâche par une cinquantaine de spécialistes mondialement reconnus. Ainsi qu’il est précisé dans la préface, ce magnifique ouvrage est « le livre d’une époque. Une époque marquée par une tolérance et une curiosité accrue vis-à-vis des diverses cultures du monde. Par une recherche plus attentive à ce qui rassemble et se ressemble qu’à ce qui répare ou diverge ». Vu dans la perspective des développements issus du 11 septembre (il ne semble actuellement même plus nécessaire d’indiquer l’année), ces propos s’avèrent emblématiques de la criante nécessité de réentendre les grandes voix et les textes canoniques ayant assuré le parcours spirituel de l’humanité.
Car que l’on explore chaque recoin de l’humainerie, et l’on repérera aussitôt, aux côtés (et au cœur) de la violence meurtrière, le sens du sacré. Pourquoi ? Parce qu’une question persiste, inévitable, massive, intempestive : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Cette question, comment ne pas saisir qu’elle se déploie sur un fond troublant, formant la base de l’ouvrage de Frédéric Lenoir et d’Ysé Tardan-Masquelier, à savoir « le constat quasi universel d’une souffrance, d’un état d’insatisfaction, de l’aspiration à un dépassement ».
Cet inassouvissement, c’est celui que les sages, mystiques et maîtres spirituels de toute l’histoire ont exploré afin de trouver leurs voies et, parfois, de l’enseigner. C’est pourquoi la première partie de l’ouvrage propose une centaine de biographies de majestueuses individualités venant des plus hauts mythes (des voyants du Veda en passant par Akhénathon ou Zhuangzi), de la spiritualité antique (de Socrate à Denys l’Aréopagite), de l’époque médiévale (parmi d’autres : Muhammad, Räbi’a al-‘Adawiyya, Abhinavagupta, Hadewijch d’Anvers), de la Renaissance et de notre modernité (de John Wyclif et Jeanne Guyon jusqu’aux Pentecôtistes et aux lamas tibétains contemporains). Viennent ensuite les textes, « mémoire intime » de l’humanité, traces d’une aventure aussi improbable que celle des galaxies, souvent mobilisée dans des systèmes et des écoles. Présentés chronologiquement et thématiquement en quatre sections (« Le constat initial », « L’absolu, Dieu, l’au-delà », « L’homme et le divin » et « La voie »), ils permettent ainsi des ouvertures les unes aux autres des traditions textuelles et orales, des croisements des chemins et des paroles, des rythmes des transmissions.
Lieux de mémoire toujours en mouvement, transmuant l’énergie en signes, les textes, traducteurs ou plutôt transcréateurs d’expériences, témoignent de cette « recherche de l’intériorité » qui paraît constituer le fondement de l’expérience spirituelle, où qu’elle s’engage et se vive. D’où la nécessité de frayer des pistes à travers les épais buissons ardents de la sagesse, ce que réalise la dernière partie intitulée « Repères et synthèses », incluant d’excellents éléments de bibliographie ainsi que des index de noms et de lieux fort appréciés.
Il y a dans la sagesse une connaissance, une vertu, un pouvoir : l’illumination de tout être. Cela a peut-être quelque chose à voir avec la Vérité.
1. Sion Assouline, Intuitions du bouddhisme (série radiophonique diffusée sur les ondes de la chaîne culturelle de Radio-Canada en juin et juillet 1999), Société Radio-Canada/Fides, Montréal, 2001 ; 95 p. ; 24,95 $.
2. Sa Sainteté le Dalaï-Lama, L’initiation de Kalachakra, Pour la paix dans le monde, Desclée de Brouwer, Paris, 2001, 349 p. ; 43,95 $. Avant-propos, traduction de l’anglais et notes par Stril-Rever.
3. Alexander Berzin, L’initiation de Kalachakra, Fondements théoriques et pratiques, trad. par Marie-Béatrice Jehl, Dangles, Saint-Jean de Braye, 2001, 271 p. ; 34,95 $.
4. Philippe Cornu, Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme, Seuil, Paris, 2001, 843 p. ; 94,95 $.
5. John Main, Le chemin de la méditation, trad. de l’anglais par Jean Chapdelaine Gagnon, Bellarmin, Montréal, 2001, 192 p. ; 19,95 $.
6. Frédéric Lenoir et Ysé Tardan-Masquelier, Le livre des sagesses, L’aventure spirituelle de l’humanité, Bayard, Paris, 2003, 1950 p. ; 79,95 $.