« Comme l’Europe et l’Asie ont reçu des noms de femme, je ne vois aucune raison pour ne pas appeler cette autre partie Amérige, c’est-à-dire d’Amerigo*, ou America, d’après l’homme sagace qui l’a découverte. »
Martin Waldseemüller, animateur du Gymnase vosgien, Saint-Dié (France), XVIe siècle.
*Amerigo Vespucci, qui donna son nom à l’Amérique, découvrit bien le continent,
mais après Christophe Colomb, dont le nom fut donné à la Colombie.
Ce que sera le Sommet des Amériques qui a pour but d’établir une zone de libre échange commercial qui s’étendra de la Terre de Feu à la Terre de Baffin, de l’Atlantique au Pacifique, on s’en doute un peu, malgré les ratés possibles et le bruit (possible aussi) des dissidences. Les gagnants au jeu, qui n’est qu’économique, dit-on, on les connaît bien et l’on sait déjà que les questions culturelles ne seront d’aucun poids dans les négociations, les États les plus forts ne courant évidemment aucun risque de voir s’affaiblir le moins du monde leur influence sur les cultures actuelles de moindre rayonnement.
Culture minoritaire en Amérique, devrions-nous capituler, suivre par exemple le courant, fort au Québec actuellement, de créer dans la langue majoritaire ? Le danger d’une assimilation accélérée ne devrait-il pas au contraire convoquer toutes les forces de résistance ? Mais existe-t-il de l’espoir pour la vie en français au Québec, seul gage d’une culture québécoise francophone valable ?
Au colloque annuel de l’Académie des lettres du Québec, Madame Nadia Bradermas-Assimopoulos** a évoqué « Les points marquants de l’histoire de la langue française au Québec ». Rappelons à sa suite que le Traité de Paris (1763) ne garantissait aucun droit à la langue française, mais que, dès après l’Acte de Québec (1775) et la création d’une Assemblée élue (1791), les pétitions et protestations diverses abondent comme lors de l’adoption controversée de l’Acte d’Union en 1840, et de la signature de l’Acte confédératif de 1867. « Dans tous ces moments de l’Histoire sont assurés à la langue française, quoique de façon partielle et précaire, une place à tenir et un rôle à jouer dans la vie publique du temps. » Les revendications continuent au XXe siècle, des associations de résistance se créent, des organes de presse, des institutions d’enseignement et une percée des milieux de l’économie et du travail, comme de la science, jusqu’à la Révolution tranquille et à « la prise de conscience des Québécois de la nécessité d’une nouvelle loi pour assurer d’une façon plus ferme la défense et la promotion du français au Québec ».
En 1974, la loi 22 fera du français la langue officielle du Québec ; en 1977, on votera la Politique québécoise de la langue française et la Charte de la langue française qui repose sur quatre principes : « Que la langue française au Québec n’est pas un simple mode d’expression, mais un véritable milieu de vie au sein duquel s’est développée et doit continuer de croître une culture originale en terre d’Amérique » ; ce premier principe en sous-tend un deuxième : « Le respect des autres » et un troisième : « L’importance de l’apprentissage d’autres langues ». L’affirmation du quatrième est claire : « Que la langue française soit la langue d’usage commune de toutes les sphères de la vie collective est aussi une question de justice sociale. »
Les mesures de protection du français au Québec ont eu pour résultats « l’élimination des inégalités socio-économiques de la majorité de langue française » et « la généralisation de l’usage du français dans la sphère publique de la vie sociétale québécoise ». Le bilan est plus faible dans la région de Montréal cependant et, dans l’ensemble, l’on ne peut conclure « que le français est devenu la langue d’usage public commune à ceux qui habitent le territoire québécois ». Autre cri d’alarme, celui qu’ont lancé lors des états généraux sur le français (colloque du 16 février dernier) des travailleurs de grandes entreprises privées : l’obligation légale de francisation est loin d’être respectée partout et dans toutes ses modalités.
Face à ce constat, des actions s’imposent : l’amélioration de la langue d’enseignement et des méthodes d’apprentissage, la vigilance à l’égard des grands médias de communication, entre autres. Mais dans le contexte de mondialisation actuel, ces tâches déjà amorcées prennent un caractère d’urgence que nos gouvernements, empêtrés dans les réductions de déficit, ne voient pas et ne soutiennent pas efficacement. Les entreprises culturelles sont bien placées pour le savoir.
Si, avec Claude Hagège, on convient que la disparition d’une langue est une perte irréparable en elle-même, cet irréparable le serait incomparablement pour nous. Mais le français au Québec est toujours vivant. Cette langue de grande civilisation reçue en héritage, c’est maintenant que chacun doit travailler à la consolider chez nous pour la défendre contre l’envahissement des langues dominantes. La valeur de celles-ci n’est pas en cause, mais leur hégémonie, asphyxiante pour les autres cultures, risque d’appauvrir l’ensemble de la communauté humaine et, dans notre cas, de bloquer pendant longtemps toute créativité culturelle.
**Madame Nadia Bradermas-Assimopoulos est présidente du Conseil de la langue française.