Depuis une quinzaine d’années, celle qui a « commencé à écrire pour séduire les garçons » fait carrière dans la littérature. Couronnée par le Prix Robert-Cliche en 1982 pour son roman Chère voisine, Chrystine Brouillet s’est d’abord fait connaître comme auteure de roman policier, mais l’étendue de sa production, qui compte aujourd’hui une dizaine de romans pour adultes et plus de vingt romans pour la jeunesse, révèle une auteure aux projets et aux ambitions multiples. Portrait d’une écrivaine professionnelle.
Si ses premiers romans ont été remarqués, c’est avec la trilogie historique Marie LaFlamme (Marie LaFlamme, Nouvelle-France et La renarde) que Chrystine Brouillet est devenue une habituée des listes de best-sellers. Depuis, chacun de ses romans suscite l’attention soutenue des médias et le plaisir de lecteurs fervents.
Volubile et pétillante, Chrystine Brouillet, qui a pourtant écrit mille et une choses, semble en avoir encore le double qui mijote dans ses neurones. Son parcours singulier n’est pas sans révéler une vision du métier d’écrire, vision qui s’est modelée au fil de ses choix et à la mesure de son ambition. Après la littérature comme projet de séduction, puis l’entrée officielle dans le monde des lettres par le biais d’un prix littéraire, celle qui affirme s’être d’abord lancée en littérature par erreur a décidé de gagner sa vie en écrivant.
Installée à Paris, elle paye son loyer et affine sa technique en multipliant les contrats, naviguant allègrement de la publicité aux nouvelles érotiques, d’un guide pratique pour contrer l’insomnie à une biographie du cycliste Jacques Anquetil ! Son intérêt pour les genres et les contraintes les plus variés influence indubitablement son apprentissage du maniement de la plume.
Si les nouvelles érotiques, exigeant de multiples images et variations sur un même thème, ont représenté un défi lexicologique, que le roman policier lui a permis d’orienter concrètement sa réflexion sur la construction romanesque, que la littérature pour la jeunesse l’a confrontée à l’économie narrative, sa trilogie historique autour de Marie LaFlamme l’a rendue beaucoup plus rigoureuse dans les recherches préalables à la rédaction de ses ouvrages de fiction.
Mais ces considérations techniques restent la face cachée de sa véritable ambition : raconter des histoires, créer du plaisir par l’évasion. Et en amont de toutes les intrigues qui bouillonnent dans sa tête, celle qui a la démesure d’oser, de s’attaquer à tout, qui carbure aux projets les plus fous, à qui aucune contrainte ne fait peur, exprime joyeusement son rapport à l’écriture en citant Alain Demouzon: « Dans un roman, il y a une seule intrigue, et c’est comment l’auteur va se sortir de ce merdier ! »
L’artisanat de l’écriture
Chrystine Brouillet parle d’abondance des multiples lectures et activités de recherche auxquelles elle s’adonne afin d’ancrer le plus justement possible dans le réel les fictions qu’elle concocte. Ainsi des entrevues avec des policiers, des psychologues et de nombreuses lectures sur la pédophilie ont étayé les comportements prêtés aux protagonistes de C’est pour mieux t’aimer, mon enfant, son plus récent roman policier. Elle avoue que de travailler à des fictions contemporaines lui donne davantage de références, de possibilités de vérifier ce qu’elle met en scène, bien que la réciproque évidente soit que beaucoup de gens sont en mesure de pointer les erreurs.
Le problème inverse se pose dans le cas de la recherche historique, où elle ne peut compter que sur elle-même pour assurer ses arrières. Ses activités de recherche ont atteint un sommet lors du travail préparatoire à la rédaction des trois tomes de Marie LaFlamme : « Mon plan de Marie LaFlamme était un énorme tableau. J’avais trois séries : les événements historiques réels en Europe, ce qui se passait dans la vie de Marie LaFlamme, puis les événements historiques en Nouvelle-France. Des flèches m’indiquaient que tel bateau était effectivement arrivé en Nouvelle-France, que tel attentat avait eu lieu en Europe. Et je m’astreignais à faire coïncider tout ça ; pour qu’un personnage en Nouvelle-France soit mis au courant de la peste de Londres, par exemple, il fallait d’abord qu’arrive le bateau qui apporte la nouvelle ; je devais tenir compte de ce délai. Je divisais donc chaque chapitre en parties plus infimes et je recourais à mes fiches pour assurer la véracité des informations techniques. Si je parlais des plantes, je consultais mes fiches. Et les plantes me posaient le problème particulier non seulement de m’assurer qu’elles poussaient bien en Nouvelle-France, mais qu’elles le faisaient au bon moment, lors de la bonne saison ! »
Outre la recherche historique, Marie LaFlamme posait un défi de vocabulaire. En guise de préparation, Chrystine Brouillet a lu nombre d’auteurs du XVIIe siècle afin de s’imprégner de la musique de la langue de cette époque-là. Le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière (1690) lui a également été d’un grand secours : « Je l’ai lu au complet. Je lisais chacun des mots, et j’inscrivais ceux qui m’intéressaient sur des fiches : médecine, bouffe, expressions, curiosités, mots bizarres, verbes, adjectifs, noms… ». Une telle recherche pose évidemment le problème de l’intégration de l’information à la trame romanesque, une difficulté que Chrystine Brouillet a surmontée par d’innombrables relectures de ses liasses de notes, jusqu’à ce qu’elle les sente suffisamment intégrées.
C’est seulement grâce à une telle minutie que la fiction prend forme pour l’auteure. Et quand elle parle de fiction, elle entend bien succomber le moins possible à la tentation autobiographique… bien qu’on la reconnaisse un peu dans son personnage de Maud Graham. Le peu d’elle qu’on retrouve dans ses romans, Chrystine Brouillet avoue d’ailleurs l’insérer par paresse : « Si je parle de cuisine, je n’ai pas de recherches à faire là-dessus, je sais comment ça se passe ! »
Intuition, pif et observation
Même si elle affirme qu’il y a relativement peu de sa vie dans ses fictions, Chrystine Brouillet arpente le monde toutes antennes dehors, à l’affût de l’air du temps qui lui servira à nourrir ses intrigues. Son intuition s’est plus d’une fois révélée fulgurante, elle qui a publié Le collectionneur juste avant que n’éclate l’affaire Paul Bernardo, puis C’est pour mieux t’aimer, mon enfant juste au moment de l’affaire Dutroux. De quoi lui donner la trouille d’imaginer d’autres intrigues sordides?
« Non, on ne pense pas à ça quand on écrit. On se demande comment on va terminer son histoire. Et puis on verra ça plus tard. Si chaque fois que je sors un livre je colle à ce point à l’actualité, je me poserai la question après cinq ou six. Mais je suis probablement un peu sorcière… Je pense avoir de l’intuition, mais c’est dans l’air. On a juste à être un peu branché à la vie courante et avoir le sens de l’observation. Moi, je prends des notes partout, dans la rue, l’avion, le bus ou le métro, j’ai toujours mon carnet sur moi. »
Et cette inscription dans le réel de l’écriture de Chrystine Brouillet ne se manifeste pas que dans ses romans dont l’action se situe à l’époque contemporaine. Le XVIIe siècle de Marie LaFlamme permettait l’intégration de manière opportune de préoccupations on ne peut plus contemporaines, comme le rôle des sages-femmes, ou la pratique des médecines douces.
L’écrit est-il jamais neutre ?
Ces liens étroits qui se tissent entre réalité et fiction posent clairement la question de la fonction sociale de l’écriture en général, et celle de l’écrivaine en particulier. Chrystine Brouillet se donne-t-elle une mission en écrivant ses romans? « Je ne fais pas des livres pour livrer des messages, mais dans le cas du roman pour la jeunesse par exemple, j’écris pour que les enfants puissent à la fois s’offrir une distraction et développer le goût de la lecture. Il est évident également que je me sens responsable du contenu des textes : je ne peux pas dire aux enfants : essayez le crack, c’est amusant ; pas plus que je ne peux leur dire à quel âge ils doivent avoir des relations sexuelles. Je peux leur dire par contre : si vous le faites, mettez un condom ! On a la chance d’être crédibles auprès des jeunes lecteurs, on a donc une responsabilité et on ne peut pas affirmer des choses sans tenir compte des conséquences possibles. »
Ce qui constitue une responsabilité quand on s’adresse aux jeunes se nomme différemment lorsqu’il est question de romans pour adultes, mais sa vision de la fonction sociale de l’écriture reste similaire: « D’une manière, la littérature est quelque chose de tout à fait égoïste et orgueilleux. On écrit toujours dans le doute, et je ne suis jamais assurée que ce que je fais est bon, jamais. Mais j’ai quand même assez d’orgueil pour le faire, et pour présenter mes manuscrits à mes éditeurs. Je trouve que je reçois beaucoup, je gagne ma vie comme ça, je suis chanceuse, privilégiée dans l’écriture. Mais d’autre part, il faut aussi rendre service, faire quelque chose d’utile. Moi, je raconte des histoires, ça fait oublier leur quotidien aux gens qui les lisent. Mais à côté de ça, il est possible d’aller un peu plus loin. Je me dis oui, si C’est pour mieux t’aimer, mon enfant sert, avec l’astuce du mot de passe, à ce qu’un enfant ne se fasse pas attraper, ça aura toujours bien servi à ça. C’est mon côté Mère Teresa ! »
Peut-on ne pas être féministe ?
Si les romans policiers lui permettent d’éveiller l’attention sur la sécurité des individus, la fonction sociale est tout aussi présente dans la trilogie Marie LaFlamme, où Chrystine Brouillet avait clairement le projet de « revisiter » l’histoire d’un point de vue de femme. « On a si peu d’héroïnes, il semble que nous n’ayons gardé aucune trace de ces femmes-là. Pourquoi? Parce que ce sont des hommes qui ont écrit l’histoire. Moi, je ne trouve pas ça correct, je tiens en quelque sorte à rétablir un certain équilibre. Je ne dis pas que les filles sont mieux que les garçons, jamais, mais je trouve qu’il faut que les femmes prennent leur place entière dans l’histoire, dans la littérature, dans le monde. Il y a encore un travail énorme à faire. Il de s’agit pas de dénoncer, mais de rétablir, d’ancrer des choses. »
Dans la trilogie, la position est très claire : l’héroïne est persécutée parce qu’elle est une femme. C’est toute la mémoire des sorcières que tente de réhabiliter Chrystine Brouillet: « Je trouvais ça épouvantable qu’on ait brûlé tant de femmes sans que finalement ça ne dérange grand monde. Des femmes ont été brûlées par milliers, sans procès. Il y a eu des bûchers de 400 personnes en même temps. C’était de la folie, et on se demande pourquoi on a été capable d’étouffer ça, pourquoi on n’en a pas parlé davantage, pourquoi ce n’est pas resté dans la mémoire des gens plus que ça. On parle de l’Inquisition, sans plus. Et on pense que les gens qui ont été brûlés l’ont été à cause de la sorcellerie. Mais on accusait les femmes de rien du tout. »
On peut quand même lire en filigrane des aventures de Marie une histoire du rapport des femmes au savoir. Sa mère, Anne LaFlamme, guérisseuse et sage-femme, est tuée parce qu’elle a voulu accéder à la connaissance, et que les autorités se sont liguées pour l’en empêcher. Mais selon Chrystine Brouillet, « au début, ce sont des femmes intelligentes et savantes qui succombaient, mais après, c’est la première venue qui y passait. Les hommes ont été exécutés parce qu’ils dérangeaient, mais les exécutions des femmes étaient beaucoup moins ciblées, beaucoup plus généralisées, et dépassaient souvent la question du rapport à la connaissance ».
Féministe, Chrystine Brouillet ? « Absolument. Je ne peux pas imaginer qu’une femme ne soit pas féministe. Si elle n’est pas féministe, c’est parce qu’elle n’a pas été informée que ça existe, qu’elle ne sait pas qu’elle peut l’être, qu’elle ne connaît pas le mot, ou que ça lui est interdit. Être féministe, pour moi, c’est vouloir avoir les mêmes droits que les hommes. Y a-t-il une femme qui a envie d’en avoir moins ? Jamais. Si je suis féministe ? C’est comme si on me demandait si je suis une femme ! »
De ses deux personnages les plus connus, Marie LaFlamme et Maud Graham, Chrystine Brouillet dit la même chose : elles sont résolument féministes. « Je ne peux pas penser autrement. C’est comme si on me demandait si je peux écrire des romans racistes ! » De là à savoir si les valeurs féministes en filigrane de ses romans constituent une des clés de son succès, il y a un pas que l’auteure n’est pas prête à franchir.
Selon elle, c’est parce qu’elle raconte des histoires, de la fiction, que ses romans connaissent le succès, pas à cause des idées qu’ils véhiculent. Il reste que les listes de best-sellers au Québec depuis une dizaine d’années dénotent une présence accrue des signatures féminines, et qu’il semble que parmi les esquisses de recette pour y figurer, le fait d’être une femme, de mettre en scène une protagoniste féminine et de susciter l’intérêt spécifique du lectorat féminin compte pour beaucoup.
À lire les romans de Chrystine Brouillet, on constate rapidement que l’auteure entretient des rapports particuliers avec ses héroïnes. Marie LaFlamme a habité l’auteure le temps des trois tomes de la trilogie historique, alors que Maud Graham hante ses romans depuis si longtemps qu’elle est presque devenue une amie. « C’est elle qui m’influence, et non l’inverse, et lorsque je la mets en scène, c’est moi qui suis obligée de devenir comme elle. Alors que les nouveaux personnages me laissent une marge de manœuvre, parce que je les connais moins et réciproquement, les personnages bien installés font un peu ce qu’ils veulent. Marie LaFlamme, ça allait encore ; comme elle était plus jeune que moi, j’avais un certain ascendant sur elle. Mais sa mère, Anne LaFlamme, si elle n’était pas morte si rapidement, aurait certainement fait des choses qui n’étaient pas prévues. Et Maud Graham, c’est une amie plus vieille que moi, une grande sœur qui m’énerve parfois. Son histoire d’amour avec Yves, par exemple, je trouvais qu’il était temps que ça finisse ! »
Thriller au féminin
Faisant œuvre de pionnière du genre policier au Québec, Chrystine Brouillet, qui a d’ailleurs assuré la chronique du genre dans les pages du magazine Nuit blanche, est très consciente de sa position de femme Suvrant dans un genre jusqu’à assez récemment dominé par les hommes. Comment voit-elle cette intrusion des femmes dans le polar, qu’y apportent-elles ? Alors qu’on a souvent ramené le succès des romans de Mary Higgins Clark à l’équilibre qui se crée entre le suspense de l’enquête et le suspense amoureux, Chrystine Brouillet voit plutôt l’émergence du quotidien dans le roman à suspense comme un apport typiquement féminin.
« En général, quand les femmes écrivent un roman policier, il se situe autour de la maison, la maison au sens large. Ce n’est pas l’action qui domine, les poursuites en voiture, en hélicoptère, toute la mécanique, quoi! Dans l’univers du roman policier au féminin, c’est la famille, l’entourage immédiat qui prime. C’est le frère qui t’a trahie, c’est le père qui est dangereux ou le voisin que l’on doit suspecter. Les personnes qui nous sont familières deviennent des menaces. Et c’est souvent bien pire, quant au degré d’appréhension, d’être menacée par un cousin que par un illustre inconnu. J’ai l’impression que les femmes travaillent beaucoup dans une veine inspirée d’Hitchcock. Alfred Hitchcock disait, dans les entretiens qu’il a accordés à François Truffaut, qu’au cinéma, lorsqu’on voit un personnage se promener une boîte à la main et que cette boîte explose, on est devant un effet de surprise. Mais si on sait d’entrée de jeu que la boîte contient une bombe, et qu’on voit ensuite cette boîte circuler de main en main, qu’on voit un personnage la déposer sur un banc, puis la reprendre, continuer son chemin, au moment où la bombe explose, l’effet est décuplé. Je pense que c’est très similaire dans les romans. Si un personnage sort brusquement d’une voiture et abat un passant, on sursaute. Mais lorsqu’on sait qu’un personnage est menacé par quelqu’un de son entourage, qu’on voit l’agresseur se rapprocher tranquillement, l’effet est beaucoup plus durable. C’est la proximité qui rend efficace, et c’est quelque chose qui est très bien exploité dans les romans féminins. »
La position culturelle de Chrystine Brouillet s’avère typiquement québécoise. Attirée et fascinée par la France, où elle vit encore une partie de l’année, elle y a trouvé une solidarité d’écriture avec la communauté du roman policier français. D’autre part, elle est très consciente de travailler à la manière des Américaines, quoique différemment des Britanniques. « Les Britanniques font du roman de déduction. C’est propre, et on n’est pas tourmenté en lisant Ruth Rendell, Agatha Christie ou Ellis Peters. Les Américaines, par contre, je pense à Patricia Highsmith, Patricia Cornwell ou Mary Higgins Clark, il nous faut absolument savoir comment leur roman finit avant d’aller dormir ! Moi, le roman de déduction ne m’intéresse pas. Savoir qui a tué est le dernier de mes soucis. Cette forme de roman est celle d’un jeu d’esprit. Moi ce qui m’intéresse, c’est pourquoi la personne a tué, comment on devient meurtrier. C’est la création du monstre qui m’intéresse. »
Le nec plus ultra du genre
Ses nombreuses lectures policières au féminin la rendent parfois jalouse. « Je suis jalouse de Patricia Cornwell parce que c’est la meilleure ! Elle a une connaissance formidable de l’appareil judiciaire, et a travaillé au bureau de médecine légale de Virginie, alors elle parle des autopsies comme si elle les avait faites. Et comme elle est très branchée au FBI, elle a des informations de première main. Elle fait donc des romans solides, mais pas cliniques pour autant. Ses personnages sont terriblement attachants. Moi, Scarpetta, je l’adore, je suis à la lettre ses histoires d’amour ainsi que celles de sa nièce. Patricia Cornwell a tout pour elle. Je ne peux jamais rien reprocher à un de ses livres, j’ai une admiration sans bornes et j’achète ses livres aussi vite qu’ils sortent. »
Outre les polars, ses lectures de prédilection, et la documentation en vue de ses prochains romans, Chrystine Brouillet avoue lire… des livres de cuisine ! Sa gourmandise, elle l’a traduite dans un passage touchant de C’est pour mieux t’aimer, mon enfant. Alain Gagnon, le médecin légiste qui devient amoureux de Maud, découvre la vulnérabilité de celle-ci par l’intermédiaire de la simple présentation d’un plat: « Elle avait préparé une très classique entrée de saumon fumé. Alain Gagnon fut touché par la symétrie de la présentation: les tranches de poisson étaient disposées en éventail et les rondelles d’oignon s’entrelaçaient comme les anneaux olympiques. Bien sûr, il y avait de petits nids de câpres et des quartiers de citron aux extrémités des assiettes rectangulaires. Maud avait vraisemblablement copié une photo d’un Time Life ou d’un Fins gourmets. Il comprit à quel point elle manquait de confiance en elle. »
Celle pour qui l’aspect le plus négatif de la critique est de vendre la mèche des intrigues qu’elle concocte considère que le plus beau compliment, l’éloge ultime qu’on peut faire de ses romans est de confesser qu’on a été incapable d’en interrompre la lecture. Parmi les témoignages les plus touchants qu’elle a reçus, elle cite avec délectation celui d’un petit garçon: « Je déteste la lecture, mais j’ai été obligé de lire ton livre à l’école, et j’ai été très surpris d’aimer ça. Mystère de Chine, c’est aussi bon que de passer une soirée à manger de la pizza quatre fromages avec extra olives vertes ! »
Si les réserves de la critique bien-pensante l’affectent peu, entre autres parce qu’elle les oublie rapidement, elle comprend tout à fait qu’on puisse ne pas aimer ce qu’elle fait : de la littérature policière, de fiction, d’aventures. Toutefois, elle accepte mal l’appellation de « paralittérature », tout comme le terme best-seller qui, s’il désigne un phénomène alléchant, conserve la connotation américaine cheap ! Elle n’est pas dupe non plus des aléas de la best-sellerisation :« Un livre qui sort en janvier pourrait avoir à ce moment-là un accueil qu’il n’aura pas en mars. Et si on pouvait le prévoir, on sortirait toujours un livre au bon moment… Les gens me demandent souvent : Comment fait-on un best-seller ? Voyons ! Si on savait, on en ferait tous et toutes ! »
Et ses projets pour l’avenir ? Ce ne sont certes pas les idées qui manquent à Chrystine Brouillet, elle qui affirme n’avoir pas moins de huit projets en tête en ce moment, « dont quatre de très précis » ! Ses projets comprennent une incursion dans un des genres qui manquent à son palmarès, le fantastique.
« Mais ça sera un truc qui va mêler tous les genres. Je ne sais pas comment je vais me débrouiller là-dedans. » Celle qui ne fera plus jamais de trilogie historique, ni de romans avec un personnage amnésique (« parce que c’est l’enfer ! ») poursuivra toutefois la fresque Maud Graham, où elle sait d’ores et déjà qu’on retrouvera le personnage de Grégoire, le jeune prostitué que Maud a pris sous son aile. Elle entend également installer de manière plus incarnée les personnages de l’inspecteur Rouet et de Léa Boyer, l’amie de Maud. Il se peut également qu’un prochain Graham ait pour thème la pauvreté.
« En faisant la recherche sur la pédophilie, j’ai beaucoup exploré le monde des enfants, et je me suis rendu compte d’une pauvreté énorme. C’est évident que j’utiliserai ça quelque part. Au Québec, un enfant sur quatre va à l’école sans avoir mangé ! » Elle a en outre plusieurs projets de romans pour la jeunesse. On la comprend de ne pas trouver les journées assez longues, sa plus grande frustration. « Avant, j’aimais être écrivain, mais je n’aimais pas écrire. Et plus je vieillis, plus c’est l’inverse ! » Elle qui se plie pourtant avec bonheur aux multiples activités de promotion qui entourent la sortie de chacun de ses livres avoue avoir hâte maintenant de retourner à l’écriture, d’y consacrer du temps.
Produit croisé de l’ascendant culturel de la France et de l’influence américaine, alliant les acquis d’une technique rodée et d’une grande sensibilité au monde qui l’entoure, et nourrissant le projet de créer du loisir, Chrystine Brouillet se pose de plus en plus comme une figure incontournable du monde littéraire québécois.
Chrystine Brouillet a publié :
Chère voisine, Quinze, 1982 ; Coups de foudre, Quinze, 1983 ; Le poison dans l’eau, Lacombe, 1987 ; Préférez-vous les icebergs ?, Lacombe, 1988 ; Marie LaFlamme, t.1, Denoël, 1990 ; Marie LaFlamme, t.2, Nouvelle France, Denoël, 1992 ; Marie LaFlamme, t.3, La renarde, Denoël, 1994 ; Le collectionneur, La courte échelle, 1995 ; C’est pour mieux t’aimer, mon enfant, La courte échelle, 1996 ; Le Paris de Chrystine Brouillet, Boréal, 1996.
Chrystine Brouillet a également publié plusieurs ouvrages pour la jeunesse. On trouve certains de ses livres en édition de poche.