L’Adriano de L’heure bleue (Trois-Pistoles, 2011) reprend du service. Toujours friand de mets italiens, toujours en quête d’une plus belle aquarelle, toujours lié malgré lui à une tribu de mafiosi, il change pourtant. Son art, il le destine maintenant à la planète entière. Il séduit les femmes autant qu’avant, mais il en est plus tôt séparé, parfois par leurs emportements, parfois par les siens. Ce qui adoptait dans L’heure bleue la tonalité de la découverte et de la ferveur candide suit désormais le rythme alangui de la persistance ou celui, aux antipodes, de l’impatience. Le temps a filé et la maturité s’appesantit.
Cet Adriano que la vie traite maintenant en vétéran, Francine Allard n’allait pas en faire un plaignard ou un aboulique. Elle préfère accélérer le rythme, substituer plus rondement les visages aux visages et les décors aux décors, imposer à Adriano un tempo plus fiévreux. Avec les risques liés à cette cadence. Peu d’introspection, mais à quoi servirait-elle quand les chocs imposent une réaction instinctive ? Quand sa Carmélie tant aimée lui fait pousser des cornes, il pardonne, mais n’oublie pas. Quand Rachel lui fait cadeau de sa beauté inentamée, il se dispense de tout calcul et se gave de ce don, avant de porter son intérêt ailleurs. Ni tergiversation, ni analyse, ni doute ; à d’autres que lui la valse-hésitation. Ce rythme ne lui réussit pas toujours. La famille qu’il quitte lui impute la cassure. Les filles de sa première épouse ne se signalent à lui que pour le charger de douleurs nouvelles et de démarches risquées. Son Adriano impulsif, Francine Allard le laisse vivre selon son caprice, mais elle soumet ses sautes d’humeur et d’amour à l’aquarelle : c’est par « l’eau sur le papier » qu’Adriano vivra. Car l’aquarelle coupe court aux deuils sentimentaux, précipite Adriano dans la fièvre des galeries, des expositions, du démarchage professionnel. La célébrité ? L’aisance ? La fréquentation des Borduas, des Dallaire, des Riopelle ? L’aquarelle permet tout cela et New York est là pour le prouver. Comme si cette trépidation ne suffisait pas, Adriano fait face à la déchéance de sa fille Rose. Elle retrouvera l’équilibre quand Adriano l’associera, on aurait dû le prévoir, à sa carrière d’aquarelliste vedette. De nouveau en amour, à peine plus sage, plus pressé, Adriano bouclera la boucle en retournant au village de son enfance pour y offrir une exposition qui a nom Retour.
Ce beau deuxième volet du parcours d’Adriano porte le sous-titre L’enfer de Diderot, mais j’ignore si Diderot tenait à monter dans cette galère.