Inventaire de l’atelier : ces mots invitent celui ou celle qui aborde le dernier ouvrage de Louise Warren à explorer son lieu de travail, certes, mais surtout à l’accompagner au fil de la gestation d’un écrit et de sa fabrication. Dès les premiers fragments, le lecteur convié dans l’atelier aux heures où l’écrivaine s’y trouve peut l’écouter penser. Elle s’attarde aux objets qui s’offrent comme filons à suivre. Elle se poste à la fenêtre pour regarder la lumière se répandre sur le lac. Par ses mots, ses images, elle introduit son hôte dans le vif de l’émotion subtile que le spectacle soulève en elle. Puis elle repasse avec lui le seuil de l’atelier, quitte la maison pour le bois, la ville ou le studio d’une peintre à Budapest.
L’atelier déborde ses limites physiques. Le lieu où se forge l’écrit est cet espace de recueillement qu’il nous est donné de découvrir. Un espace intérieur que l’extérieur nourrit et inversement. Un creuset où se déposent et se fondent observations, perceptions, rêves, et ces précieuses « apparitions » porteuses d’un sens à débusquer. C’est le véritable lieu de l’intime, là où pourra sourdre une voix qui cherche à se dire, explique-t-elle, qu’on entendra si l’on fait silence. L’imaginaire et la pensée y puiseront pour donner forme au livre à venir et permettre à cette voix de se déployer.
La tasse du père, le rayon de bibliothèque vide, une phrase de Handke, l’oiseau mort dans le sentier. Comme bien d’autres, ces choses vues ou lues lui permettent de « rêver le livre » avant de commencer à l’écrire dans la tête, « en périphérie », au fur et à mesure que le corps et l’esprit s’imprègnent de celles-ci. Dans le retrait de l’agitation et l’abandon au réel, se déroule un travail complexe où les visions renvoient à ce qui est enfoui et névralgique, ce qui doit être extrait des profondeurs. « Installer la forme » aide l’auteure à penser le pressenti, à « dégager l’émotion de son trop-plein », à clarifier l’image. Selon elle, le fragment convient tout à fait à la saisie rapide de « l’apparition », car il est « proche du jaillissement ». À force de présence immobile au cœur du flou, les fragments se posent comme des pierres de gué. Le livre s’écrit. Bientôt, la rive est atteinte. De nouvelles couches de sens ont fait surface.
Louise Warren met le temps et le soin qu’il faut pour que le lecteur vive, en quelque sorte, le présent de la création. Elle le fait avec la grande générosité de qui ne craint plus que se taisent à jamais les voix fragiles « que nous hébergeons » parce que dans la solitude elle a appris sa façon de les accueillir. Elle libère ainsi le travail du poème d’un inutile mystère et témoigne des diverses « traversées » que l’écriture suppose. Cette transparence touche et favorise la fréquentation de la poésie. Son essai constitue un précieux témoignage sur la création, à la fois dévoilement authentique et leçon d’humanité.