Troisième ouvrage de Josée Marcotte, faisant suite à deux publications numériques – Marge (2010) et La petite Apocalypse illustrée (2012) –, Les amazones est un roman singulier. D’abord, par sa brièveté (il fait dans les 80 pages), ce qui l’apparente davantage à une « novella » qu’à un roman au sens traditionnel. Ce texte est singulier, également, par sa composition : il se divise en 47 chapitres, très courts (longueur moyenne : une page) et coiffés, en guise de titres, de noms d’amazones : Morphale, Psychéra, Mamika… La singularité de l’opus provient, enfin, de son rapport à l’intrigue. Au lieu d’aborder le récit de front, le texte construit une histoire à travers une succession de portraits ou de micro-récits. Marcotte s’est visiblement inspirée de Volodine et de sa technique du « narrat », c’est-à-dire un fragment narratif servant à fixer une situation, une émotion ou un conflit donnés.
Pour sa réécriture du mythe des amazones, Josée Marcotte a choisi un cadre post-apocalyptique. Elle transporte le lecteur dans un monde en guerre, « scindé en deux », où le clan des hommes et celui des femmes s’affrontent depuis des siècles. Les femmes ont trouvé le moyen de créer la vie à partir de mixtures (boue, épices, écorces, végétaux) et d’incantations. Elles enfantent ainsi des femmes adultes qui, sitôt nées, sont prêtes (et conditionnées) à faire la guerre. Les hommes, en revanche, ont encore besoin du corps féminin pour procréer. Les amazones ont donc dû organiser la défense de leur territoire pour se prémunir contre la menace constante de raids et de rapts. Mais l’enjeu ne consiste pas seulement à se défendre, car les femmes « luttent pour régner seules sur cette terre ». Or, à l’époque du récit, le sol est devenu stérile et les amazones pressentent la fin. Qu’ont-elles fait pour en arriver là ?
Les amazones révèle une jeune auteure de grand talent. La prose est mesurée, concise ; le ton sonne juste. On retrouve certaines préoccupations déjà formulées dans les utopies féministes classiques de Joanna Russ et d’Élisabeth Vonarburg, mais à la sauce post-féministe. Le cadre intertextuel est riche de références (semi-)cachées à Rimbaud, Ducharme, Orwell, Vian et consorts (l’auteure en cite plusieurs dans ses remerciements). Bref, Les amazones représente à coup sûr l’une des plus belles surprises du catalogue de L’instant même pour la rentrée d’automne 2012.