On a du mal à croire qu’il s’agit d’un roman tellement l’aventure du narrateur apparaît crédible et révélatrice du Liban moderne. Rêvant de reconquérir la gloire perdue de sa famille mais aussi le cœur de celle qu’il nomme Monde, Ghaleb Cassab se lance dans une folle aventure : aller chercher à Alep, en Syrie, d’énormes machines servant à la production de tissus divers, abandonnées par un exilé syrien forcé de quitter son usine par un gouvernement rapace.
Au retour, il apprend que son infortuné partenaire entrepreneur a perdu la vie, mais notre héros beyrouthin se met quand même en tête de relancer, dans le village d’Ayn Chir, une usine familiale qui avait autrefois fait la fortune du bled et de sa famille. Il y parvient admirablement, faisant de nouveau retentir le nom familial dans les salons bourgeois du pays. Mieux encore, cette fortune ardemment reprise lui permet de revoir Monde, maintenant mariée à un riche industriel, et de reconquérir son cœur ; il devient ainsi, comme autrefois, son amant animé d’un amour romantique et charnel.
Inconscient des rancœurs et des haines naissantes dans le pays, transformé par l’arrivée massive de Palestiniens victimes du conflit israélo-arabe, Ghaleb voit sa vie de notable s’effondrer, cette fois par les balles et les canons qui empoisonnent le Liban et qui visent de plus en plus son usine. Même Monde, perdant son mari, ne le rejoindra pas dans la reprise de sa folle expédition d’autrefois : déménager une nouvelle fois, par monts et par vaux, ses énormes machines pour les mettre un temps à l’abri d’une violence devenue aveugle.
Ces très belles pages se ferment sur une vision poétique, la poursuite de la vie, la foi en l’avenir, avec cette même légèreté qui nous transporte tout au long de ce récit romanesque admirable et qu’on interrompt à grands regrets.