Quel bel hommage à l’inoubliable Louky Bersianik, décédée en 2011, que ce numéro double de L’Action nationale qui lui est entièrement dédié. Une trentaine de témoignages d’amour, d’amitié et de respect y ont été rassemblés avec affection par les écrivaines Élaine Audet, Andrée Ferretti et France Théoret. L’amie et sculptrice Claire Aubin a aussi été mise à contribution, dont la reproduction gratuite de son buste de Bersianik (2010) orne la couverture de la revue.
Née à Montréal en 1930, Lucile Durand – ou Louky Bersianik, patronyme qu’elle s’était choisi – est principalement connue pour son roman L’Euguélionne, publié en 1976 dans la foulée de l’Année internationale de la femme. Considérée comme le premier grand roman québécois d’inspiration féministe, la fresque allégorique est, selon le témoignage percutant de Marie-Claire Blais, « un univers d’images qui chantent et qui provoquent notre pensée, nous forçant à voir autrement les dommages auxquels les femmes de tout temps ont été asservies ».
S’il est vrai que la valeur de Bersianik a été immédiatement reconnue par de grands écrivains tels Hubert Aquin, son éditeur, et Victor-Lévy Beaulieu, et s’il est aussi vrai qu’une version anglaise de L’Euguélionne a reçu le prix du Gouverneur général en 1997, « aucune édition critique, aucune éminente distinction » n’a honoré l’œuvre de l’artiste, comme le fait remarquer Andrée Ferretti, qui émet le souhait « que ce dossier contribue à contrer l’oubli dans lequel […] tombent malheureusement très vite les grandes œuvres de notre littérature ».
Chacun des témoignages, extraits inédits, présentations ou analyses de l’œuvre, aide à saisir non seulement l’originalité et l’universalité avant-gardiste de Bersianik, mais encore les ponts qu’elle avait tendus entre féminisme et séparatisme. « Il était clair pour Louky Bersianik que la progression de l’émancipation des femmes au Québec est intimement liée à l’émancipation nationale », rapporte Claire Aubin, qui la cite par ailleurs : « Et parfois j’enrage à la pensée que je serai apatride jusqu’à ma mort ».
Quelques tendres témoignages masculins, dont « L’hommage à une femme d’une autre planète » de son amoureux Jean Letarte et le magnifique « Dévasté » de son fils Nicolas Letarte, permettent encore une fois de réaliser que de nombreux compagnons de femmes engagées sont à leurs côtés et partagent leur lutte. Et c’est bien ainsi.