D’un roman à l’autre, le Turc laïque Orhan Pamuk nous invite à découvrir l’histoire, les ruelles et l’âme de son Istanbul bien-aimée. La cité mythique, vieille de 2500 ans, se confond ainsi avec l’auteur du Musée de l’Innocence, tous deux à cheval entre Europe et Asie, entre Occident et Orient, entre modernité et tradition.
Est-ce le bonheur ou le malheur que raconte ce récit de plus de 600 pages ? Doit-on se réjouir ou se moquer de la saga amoureuse de son narrateur, le riche bourgeois occidentalisé Kemal Basmaci, dit Kemal Bey, dont la passion pour la belle Füsun s’étale sur 30 ans ? « C’était le moment le plus heureux de ma vie, je ne le savais pas », affirme-t-il dès l’ouverture. Kemal connaît des moments de ferveur et de tendresse : « Désormais ma vie est liée à la tienne, dit-elle à voix basse. Cela me plut et m’effraya en même temps ». Puis l’inéluctable descente aux enfers, la douleur, l’humiliation, la jalousie. « Je crois que j’ai peur de la vie », avouera-t-il.
L’hallucinante dépendance amoureuse se déroule sur fond d’islam plus ou moins strict, de femmes voilées et recluses – ou pas –, de mosquées, de précieuse virginité. Un tableau de société brossé tel un conte des Mille et une nuits, heureux mélange dans lequel Pamuk excelle.
Pour tenter de calmer son obsession, le protagoniste Kemal parcourt les rues, les cafés ou les cinémas à la recherche d’objets que son amour aurait touchés. Ainsi construit-il petit à petit Le musée de l’Innocence, un lieu de mémoire, avec une collection pour le moins bizarre, évoquant autant l’être aimé que le quotidien de la société turque de l’époque. Ce sera l’auteur lui-même, devenu personnage dans son propre roman et deuxième narrateur, qui en terminera le récit.
En juin 2011, le Prix Nobel 2006 Orhan Pamuk est reconnu coupable d’avoir sali la réputation de son pays. L’auteur s’était en effet prononcé sur le génocide arménien perpétré par les Ottomans durant la Première Guerre mondiale, sujet tabou en Turquie s’il en est, à la suite de quoi il avait dû s’exiler. On dit que le célèbre auteur fera appel. À suivre.