Des êtres – on n’ira pas jusqu’à les qualifier d’humains –, les Baldwin, sont à même de se métamorphoser par la seule modification de leur ADN : ce sont les enfants lumière, une sorte de résultante imprévisible du concept d’identité variable…
À en croire son nouveau roman, Les enfants lumière, la conception de Serge Lamothe de la posthistoire est apparemment plus proche d’une certaine mythologie du futur que de l’anticipation plausible. Le risque avec ce genre d’excentricité esthétique, c’est que le projet ne dépasse guère le stade de l’exercice de style désincarné et qu’il ne demeure qu’un baroque objet de curiosité. Paru chez Alto, ce roman à la fois festif et cérébral est caractérisé a priori par une virtuosité linguistique, une inventivité exacerbée en raison de l’exposition d’un imaginaire surréel fantaisiste qui n’est pas sans rappeler le Vian des premières explorations littéraires, époque Vercoquin et le plancton.
Or si Serge Lamothe étonne par sa verve, c’est néanmoins surtout pour la profondeur politiquement cohérente de son imagination débridée que l’on doit reconnaître sa pertinence au projet de cet aspirant virtuel à l’école de ‘Pataphysique. Le regard allégorique préoccupé qu’il pose sur les dérives des régimes politiques tout-à-l’argent mérite que l’on aille au-delà de la simple peinture de ces créatures monstrueusement merveilleuses. Car même s’il ne résiste pas à la tentation du freak-show spectaculaire, Lamothe canalise l’exploitation de ses personnages mutants en dirigeant le tir vers une critique à l’endroit de la chose politique où l’on repérera aisément la finalité de ses allusions : on assiste ainsi à la fin du régime turbolibéral de même qu’à la dissolution du cybercapital.
« Soudain, quelqu’un hurle dans un porte-voix des paroles indistinctes. C’est un ordre de dispersion, mais cela ressemble davantage à un cri de guerre. » Baignant dans un climat d’insurrection sous haute tension sociale, la posthistoire ici narrée semble vouloir donner un écho excessif, une projection amplifiée aux événements qui ont marqué le Québec au printemps 2012.
Il est clair que la lecture d’un tel ovni littéraire nécessite de la part du lecteur des concessions consenties de bonne foi : il lui faut faire plier ses résistances rationnelles s’il compte se donner une chance d’adhérer à la proposition audacieuse de Serge Lamothe.