En 1966, la World Science Fiction Convention a voulu décerner un prix Hugo spécial pour récompenser la « meilleure série de science-fictionou de fantasy de tous les temps ». Ce prix, qui n’a été remis qu’à cette seule occasion, a couronné la série Fondation, alors que beaucoup de gens à l’époque, y compris Asimov, prédisaient une victoire du Seigneur des anneaux de J. R. R. Tolkien.
Cette reconnaissance n’a pas seulement une valeur anecdotique. Elle suggère l’importance de la saga galactique d’Asimov, qui ne comptait alors que trois volumes (le cycle achevé en comporterait cinq). L’emporter sur Tolkien n’est pas une consécration banale. Encore en 2004, quand la chaîne de télévision allemande ZDF a lancé une grande enquête, « Unsere Besten – Das große Lesen », pour déterminer quel était le livre préféré des Allemands, toutes catégories confondues, Le seigneur des anneaux a fini premier, devançant la Bible (deuxième rang) et Les piliers de la terre (troisième rang) de Ken Follett. Avec Fondation, Asimov s’est imposé comme « Grand Maître » de la science-fiction, un titre que lui a d’ailleurs attribué officiellement la Science Fiction and Fantasy Writers of America en 1987. À titre indicatif, Robert A. Heinlein, Arthur C. Clarke, Ray Bradbury et Ursula K. Le Guin ont eux aussi eu droit à cet insigne honneur. Pratiquement tous les adeptes de SF tiennent Le cycle de Fondation pour une œuvre-socle, à l’instar du cycle Dune de Frank Herbert. Vingt ans après la disparition de son auteur et soixante-dix ans après la publication d’une première histoire intitulée « Fondation » dans le magazine Astounding Science Fiction, la fresque intersidérale d’Asimov n’a rien perdu de son attrait. Élaboré en plus de quarante ans, Le cycle de Fondation représente un modèle d’expansion d’un univers imaginaire. Les données initiales, imaginées dès le début des années 1940, n’ont cessé de se complexifier sous la plume d’Asimov.
Dans une galaxie loin de chez nous
Aux yeux des personnages composant l’univers de Fondation, notre époque se perd dans les dédales de la préhistoire et le souvenir de la Terre, planète des origines, s’est presque entièrement effacé au sein de la galaxie. Cette dernière est peuplée d’un milliard de milliards d’êtres humains. La navigation dans l’hyperespace est pratiquée depuis une vingtaine de millénaires. C’est grâce à elle que la galaxie a pu être colonisée à aussi vaste échelle. On ne dénombre pas moins de sept millions de planètes habitées dans la Fédération de la Fondation. Approché de la sorte, le cycle d’Asimov a de quoi donner le vertige cosmique, une sensation qui n’a toutefois rien de désagréable, au contraire.
Le cycle de Fondation décrit la décadence et la renaissance d’une civilisation galactique grâce à la « psychohistoire », une science de prédiction de l’avenir se rapprochant à la fois de la sociologie, de l’économie, des statistiques et de la psychologie. Cette science et son fondateur, le mathématicien Hari Seldon, sont les dénominateurs communs d’une fresque qui recouvre cinq siècles et qui met en scène une foule de personnages. On y trouve certes plusieurs gadgets futuristes, qui vont des désintégrateurs aux fouets neuroniques, des vidéo-livres et des brouilleurs psychostatiques aux vaisseaux antigravitiques. Toutefois, Le cycle de Fondation est plus centré sur les intrigues politiques que sur les spéculations technologiques. Il fait intervenir des personnages qui sont de fins tacticiens et dont le destin consiste à veiller sur l’avenir de l’humanité. Dans « Petite histoire de la Fondation » (avant-propos de Terre et Fondation), Asimov raconte que son intention était de « rédiger un roman historique du futur ». Le cycle de Fondation est composé de cinq livres, auxquels se sont ajoutés deux prologues (Prélude à Fondation en 1988 et L’aube de Fondation en 1993), ainsi que diverses extensions proposées par des admirateurs d’Asimov (par exemple, celles de Gregory Benford, Greg Bear et David Brin, qui ont été réunies dans Le second cycle de Fondation, publié chez Pocket en 2010). Les cinq romans du Cycle de Fondation se divisent à leur tour en deux ensembles : celui constitué par la « trilogie essentielle » (Fondation, 1951 ; Fondation et Empire, 1952 ; Seconde Fondation, 1953) – qui a remporté en 1966 le prix Hugo de la meilleure série de tous les temps – et celui formé par les deux autres romans presque trente ans plus tard (Fondation foudroyée, 1982 ; Terre et Fondation, 1986).
Fondation débute par une prédiction d’Hari Seldon effectuée grâce aux mathématiques de la psychohistoire. Après treize siècles d’existence, l’Empire galactique menace de s’écrouler. Il est « victime d’un triple mal : l’inertie, le despotisme et la mauvaise répartition des richesses dans l’univers ». Au train où vont les choses, 30 000 ans de barbarie seront nécessaires avant l’établissement d’un second empire qui redonnera à l’humanité la civilisation et la culture. Mais Seldon propose de ramener ces 30 000 ans à seulement 1000 ans. Avec l’instauration, sur la lointaine planète Terminus, d’une « Fondation » de savants œuvrant à la compilation d’une encyclopédie galactique, 1000 ans suffiront pour que cette Fondation forme un nouvel empire, plus grand que le précédent. Voilà tracées les grandes lignes du « plan Seldon ». Dans les trois volumes initiaux de la série, Asimov raconte les événements survenus lors du premier tiers de cet interrègne millénaire. Différents héros, tels Salvor Hardin (maire de la planète Terminus), Hober Mallow (prince marchand originaire de la planète Smyrno), les époux Toran et Bayta Darell et le psychohistorien Ebling Mis, veilleront à tour de rôle à la sauvegarde du plan Seldon, qui sera cependant mis à rude épreuve avec l’apparition du « Mulet », un conquérant galactique doué de pouvoirs mentaux et que Seldon n’avait pas prévu. En effet, le plan Seldon, qui appuie ses prédictions sur les actions du plus grand nombre, stipulait qu’un individu isolé ne pouvait influencer significativement les tendances sociohistoriques de la galaxie. L’apparition du Mulet venait changer la donne, tout en introduisant un thème qui prendrait de plus en plus d’importance par la suite : le mentalisme ou l’aptitude à modifier mentalement le comportement d’autrui. Peu à peu, la protection du plan Seldon relèvera moins de la « Fondation » que de la « Seconde Fondation », une entité secrète composée d’individus maîtrisant les sciences mentales et seuls susceptibles de renverser le Mulet. Dans Fondation, Fondation et Empire et Seconde Fondation, Asimov use d’un rythme haletant et d’une grande sobriété dans les descriptions pour construire un récit d’une rigueur toute mathématique, dont l’un des principaux agréments consiste à faire constamment jaillir de nouvelles complications au fur et à mesure que les crises sont dénouées.
Objectif Terre
L’approche d’Asimov diffère quelque peu dans les deux volumes suivants du cycle. Alors que les trois premiers romans avaient une longueur moyenne de 400 pages et faisaient défiler plusieurs générations de héros, Fondation foudroyée et Terre et Fondation ont plus de 600 pages chacun et se concentrent sur la quête d’un personnage, Golan Trevize. Le rythme narratif s’en trouve considérablement ralenti. S’ils tiennent moins en haleine que les trois opus précédents, les deux derniers volets du Cycle de Fondation n’en demeurent pas moins très efficaces sur le plan narratif et très crédibles sur le plan de l’anticipation scientifique, notamment en matière d’astronomie.
Ancien officier de la Marine, Golan Trevize a accédé très jeune au prestigieux poste de conseiller politique. Sur Terminus, il est le principal adversaire du maire Harlan Branno, qui le met hors d’état de nuire en lui confiant une mission clandestine. Accompagné d’un érudit, le mythologue Janov Pelorat, Trevize devra retrouver la Seconde Fondation, officiellement démantelée, mais que Trevize soupçonne de toujours infléchir le cours des destinées galactiques pour préserver le plan Seldon. Trevize devra éviter d’attirer l’attention des Seconds Fondateurs, redoutables mentalistes capables d’altérer à distance l’esprit des individus. Doué quant à lui d’une intuition hors pair, Trevize comprend que la spécialité de son compagnon de voyage désigne la quête fondamentale qu’il leur incombe d’entreprendre : Pelorat est l’un des rares savants à s’être intéressé à la Terre, la planète des origines, dont il ne reste à peu près plus de traces dans la mémoire galactique. D’aucuns prétendent qu’elle n’existe plus ou qu’elle est devenue radioactive. Le projet de la localiser semble voué à l’échec. Trevize et Pelorat vont ainsi écumer la galaxie et affronter une foule d’obstacles dans l’espoir de retrouver la planète mère. Si la sauvegarde du plan Seldon occupait le cœur de l’action dans les trois premiers volumes, la quête de la Terre devient le nerf du récit dans les deux derniers. Sans perdre de vue la cohérence de l’ensemble, Asimov prend un malin plaisir à sans cesse réinterpréter les données de son histoire. C’est ce qui fait du Cycle de Fondation une saga construite avec une rigueur peu commune. L’un des tours de force d’Asimov aura aussi été de parvenir à lier, chemin faisant, Le cycle de Fondation avec Le cycle des robots, l’autre grande série avec laquelle il a marqué le champ de la science-fiction. Fondation porte bien son nom, car il s’agit à n’en pas douter d’une œuvre « fondatrice ». Asimov n’est pas seulement un subtil « historien du futur ». Il incarne aussi un ambassadeur rêvé pour la SF. Inutile d’être psychohistorien pour prédire que Le cycle de Fondation continuera longtemps de donner la piqûre de la science-fiction à de nombreux nouveaux lecteurs…