Certains sujets paraissent inépuisables. Maurice Duplessis, figure emblématique de l’histoire politique du Québec moderne, a donné lieu à la publication de maints ouvrages sur ses années d’occupation sans partage du pouvoir (exception faite de l’élection de 1939, remportée par le Parti libéral d’Adélard Godbout). Qu’il s’agisse d’ouvrages à caractère scientifique, universitaire ou autre, d’une pièce de théâtre ou d’une série télévisée, ils ont sans doute tous contribué à conférer au personnage une stature surdimensionnée. Tous ont livré une version tantôt élogieuse, voire adulatrice, tantôt sévèrement critique de l’homme politique et de ses réalisations. Duplessis ne laissait personne indifférent. Mais tout n’a-t-il pas été dit, analysé, critiqué sur cet homme et son péché, la soif du pouvoir, qui dirigea sa province d’une main de fer durant trois mandats successifs ? Il faut croire que non. Et c’est justement à cet élément, l’exercice du pouvoir et sa reconduction triomphale d’une élection à l’autre, que s’est intéressé Alain Lavigne en décortiquant, pièce par pièce, la fabrication d’une légende politique. L’auteur de cet abécédaire de la réussite politique met ainsi en lumière l’invention du marketing politique qui, appliqué à une figure forte, allait contribuer à assurer au parti de l’Union nationale un règne sans précédent à l’Assemblée nationale du Québec.
Alain Lavigne démonte habilement les rouages d’une machine électorale que l’on savait particulièrement bien huilée et efficace, en attirant l’attention du lecteur sur son aspect innovateur dans le contexte politique d’alors. Sous la gouverne de Joseph-Damase Bégin, entrepreneur et homme d’affaires prospère de Lac-Etchemin, organisateur en chef de l’Union nationale pendant près de vingt ans, la propagande politique devient marketing politique. Redoutable stratège, J.-D.Bégin ne laisse rien au hasard pour assurer la réélection de Duplessis : établissement d’un quartier général opérationnel, adoption de stratégies rigoureuses, mise en image du chef et multiplication d’objets promotionnels à son effigie (affiches, photographies, macarons, bustes et bas-reliefs, pochettes d’allumettes, calendriers, bandes dessinées, casse-tête reproduisant l’équipe ministérielle, verres souvenirs, autocollants, etc.). « Duplessis n’était pas trop difficile à vendre », aimait-il répéter à son entourage. Il n’empêche, comme le démontre fort judicieusement Alain Lavigne, que J.-D. Bégin a contribué à modifier radicalement ce qui se déclinait jusque-là comme des joutes électorales. Plus que le rappel d’un mythe qui a incarné à lui seul la volonté autonomiste du Québec, c’est à un survol de près d’un demi-siècle d’histoire politique que nous convie Alain Lavigne. Il faut ici souligner le travail de l’éditeur, qui a su rendre ce survol aussi instructif que ludique.