Depuis Origines en 2004, Amin Maalouf nous avait donné des essais, des livrets d’opéra et des articles de journaux mais pas de roman, pas de récit. On entame donc Les désorientés avec la frénésie que procure une attente de plus en plus impatiente. On pénètre dans cet univers à la fois proche et très éloigné de ce que Maalouf nous avait offert jusqu’à présent et on y retrouve encore les thèmes de l’identité multiple, du voyage, de la mort et du temps qui passe, traités cependant de manière nouvelle. Alors que les récits précédents reposaient d’abord sur une trame romanesque riche en bouleversements et en retournements, l’intérêt des Désorientés réside surtout dans les échanges qui ont lieu entre les personnages. Les conversations, les lettres, les extraits de journaux intimes combinés à la voix du narrateur font de ce texte un carrefour de voix et d’idéologies représentatives de tous les discours possibles sur le Moyen-Orient et au Moyen-Orient. L’histoire est simple : le décès d’un ancien camarade est l’occasion pour un groupe d’amis d’université de planifier des retrouvailles dans leur pays natal, qu’on comprend être le Liban. Ce groupe s’avère un microcosme des clivages du monde arabe et permet à l’écrivain de toucher aux clichés partagés par cette société et sur cette société. Ces amis qui, il y a bien longtemps, s’étaient cru une unité, se divisent maintenant en deux clans : ceux qui ont choisi l’exil et ceux qui sont restés en terre natale, s’accommodant parfois de corruptions qu’ils ont considérées comme justifiées par leur persévérance. Les divisions sont aussi d’ordre religieux. On retrouve ici les juifs, les musulmans et les chrétiens. On retrouve ceux dont la foi est implicite et ceux pour lesquels elle est devenue un refuge ou un point d’ancrage identitaire. Ce groupe est aussi fait d’hommes et de femmes et il comprend la femme financièrement et sexuellement libre aussi bien que celle dont le mariage et un vécu au sein d’une certaine société ont rendue plus conformiste. Même l’homosexuel est là pour représenter une catégorie généralement ignorée par les sociétés arabes. Le roman donne une voix distincte à chacun de ces individus et devient ainsi un recueil de dialogues philosophico-politiques. Les désorientés, qui conserve tout de même le sens de l’anecdote étrange et surprenante propre à Maalouf, est un reflet de l’intérieur d’un Moyen-Orient multiple et polymorphe à l’orée du XXIe siècle.
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