Probablement parce qu’il destinait ce petit livre à un jeune auditoire, l’auteur a accordé à la correspondance entre Gabrielle Roy et son cousin Gabriel une place privilégiée. De fait, le risque d’ennuyer par le recours aux savantissimes analyses universitaires s’en trouve diminué, le ton se rapproche des échanges quotidiens et abordables, les confidences et les anecdotes peuvent plus aisément alléger le récit. Pierre Roy en profite pour ressusciter devant ses jeunes lecteurs et lectrices un temps révolu et des coutumes pédagogiques et administratives dont ils ignorent tout et dont ils gagneront à entendre l’écho. L’occasion est ainsi offerte au pédagogue qui utilisera cette biographie d’expliquer ce qu’étaient les écoles de rangs, à quoi ressemblait la distribution solennelle des prix, sur quel ton les enfants psalmodiaient leur « bonjour, monsieur l’inspecteur », à quelles impensables contraintes devait se plier l’institutrice pour complaire à des ignares propulsés au statut de commissaires scolaires ou abusant de l’autorité cléricale, quel héroïsme fut celui des enseignants francophones en milieu massivement anglophone. En même temps qu’émerge la figure de Gabrielle Roy une époque retrouve ses couleurs.
Cela dit, on peut se demander quelle image de Gabrielle Roy fait naître cette présentation. Déjà, le sous-titre surprend : Une histoire à peine inventée, dit-il, comme pour feutrer une confession un peu gênée. Puis, l’importance accordée au cousin Gabriel, bien qu’utile au pédagogue, accentue à l’excès les « humaines faiblesses » de Gabrielle Roy. Assez peu compétent en la matière, le cousin juge de haut l’œuvre de la romancière. Il apprécie peu le soin qu’elle investit dans sa correspondance. Il se forge à distance un verdict bizarre sur les conditions de travail offertes aux institutrices débutantes dans les Prairies et estime sa cousine plutôt geignarde. Surtout, il se montre tiède sinon distrait à l’égard du culte que vouait Gabrielle Roy, toutes ethnies confondues, à Ces enfants de ma vie. Les quelques morceaux choisis sur lesquels se ferme le livre et qui illustrent l’art de Gabrielle Roy méritent, il est vrai, les honneurs d’une anthologie tant ils sont typiques d’une vision et d’un style inimitables. On se demande, toutefois, pourquoi l’excellent pédagogue qu’a été jusque-là Pierre Roy ne les a pas intégrés au parcours de la romancière. Une heureuse intervention pédagogique qui semble avoir eu peur d’exiger davantage des jeunes pupilles.